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exil ; et, dans les plus affreux déserts, tant qu’elle trouve de quoi soutenir le corps, elle jouit de ses propres biens, et nage dans l’abondance. La richesse est aussi indifférente pour l’âme, que le sont pour les dieux tous les objets admirés des hommes ignorants et esclaves de leur corps. Ces pierres, cet or, cet argent, ces grandes tables circulaires d’un poli si parfait sont un poids matériel et terrestre, auquel ne peut s’attacher une âme incorruptible, toujours occupée de son origine, légère, exempte de tout soin, et prête à s’envoler au ciel dès qu’elle verra tomber ses chaînes. En attendant, malgré le poids des membres et l’épaisseur de la matière qui l’enveloppe, elle parcourt, sur les ailes rapides de la pensée, le séjour des immortels. Ainsi, dans sa liberté, participant à la nature des dieux, embrassant le temps et le monde, elle ne peut être bannie. La pensée s’élance dans toute l’étendue des cieux, dans les temps passés, dans les temps à venir. Ce faible corps, prison et lien de l’âme, est agité dans tous les sens ; c’est sur lui que s’exercent et les supplices, et les brigandages, et les maladies ; mais l’âme est sacrée, l’âme est éternelle, et nul bras ne saurait l’atteindre.

XII. N’allez pas croire que, pour diminuer les inconvénients de la pauvreté, qui ne semble pénible qu’autant qu’on la croit telle, je recoure seulement aux préceptes des sages. Considérez d’abord les pauvres, qui forment la portion la plus nombreuse du genre humain. ont-ils plus de tristesse et d’inquiétude que les riches ? Non, certes ; peut-être même sont-ils d’autant plus gais, que leur âme a moins d’occupations qui la partagent. Passons des pauvres aux riches : combien de fois dans la vie ne ressemblent-ils pas aux pauvres ? En voyage,