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de ces clients dont les noms s’apprennent par cœur, vous verrez a quels signes on les reconnaît : celui-ci rend ses devoirs à un tel, celui-là à tel autre, personne ne s’en rend à soi-même.

(5) Enfin rien de plus extravagant que les colères de quelques-uns ; ils se plaignent de la hauteur des grands qui n’ont pas eu le temps de les recevoir. Comment ose-t-il se plaindre de l’orgueil d’un autre, celui qui jamais ne trouve un moment pour lui-même ! Cet homme, quel qu’il soit, avec son visage dédaigneux, vous a du moins regardé, il a prêté l’oreille à vos discours, vous a fait placer à ses côtés ; et vous, jamais vous n’avez daigné tourner un regard sur vous-même, ni vous donner audience.

Chapitre III.

(1) Vous n’êtes donc pas en droit de reprocher à personne ces bons offices ; car, vous les rendiez moins par le désir d’être avec un autre, que par impuissance de rester avec vous-même. Quand tous les génies qui ont jamais brillé se réuniraient pour méditer sur cet objet, ils ne pourraient s’étonner assez de cet aveuglement de l’esprit humain. Aucun homme ne souffre qu’on s’empare de ses propriétés ; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu’on empiète sur leur vie ; on les voit même en livrer d’avance à d’autres la possession pleine et entière. On ne trouve personne qui vous fasse part de son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. Tels s’appliquent à conserver leur patrimoine, qui, vienne l’occasion de perdre leur temps, s’en montrent prodigues, alors seulement que l’avarice serait une vertu.

(2) Je m’adresserai volontiers ici à quelque homme de la foule des vieillards : « Tu es arrivé, je le vois, au terme le plus reculé de la vie humaine ;