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sage. Mais, que dis-je ? celui qui m’a banni, n’a-t-il pas été lui-même, pendant dix ans, privé de sa patrie ? Ce fut sans doute pour étendre les limites de l’empire ; mais en fut-il moins expatrié ? Le voilà loin de Rome, entraîné par l’Afrique qui nous menace avec orgueil d’une guerre nouvelle ; entraîné par l’Espagne qui ranime un parti vaincu et terrassé ; entraîné par l’Égypte infidèle, par le monde entier attentif à profiter de cet ébranlement de notre empire. À quel mal remédiera-t-il d’abord ? À quel parti s’opposera-t-il ? Sa victoire va l’emporter par la terre. Qu’il reçoive les respects et les hommages des nations ; pour toi, vis content de l’admiration de Brutus. »

Marcellus sut donc supporter l’exil ; le changement de lieu ne changea rien à son caractère en dépit de la pauvreté, qui n’est point un mal, quand on sait se préserver des extravagances du luxe et de la cupidité, ces deux fléaux destructeurs. Qu’il faut peu de chose pour l’entretien de l’homme ! Peut-on sentir le besoin quand on a la moindre énergie ? Pour moi, je ne m’aperçois de la perte de mes richesses que par l’absence des embarras. Les appétits du corps sont bornés ; le corps veut seulement être garanti du froid, de la soif et de la faim ; au-delà tout désir est un vice, et non un besoin. Il n’est pas nécessaire de fouiller les plus profonds abîmes, de charger son ventre d’un immense carnage d’animaux, d’arracher les coquillages des bords inconnus de la mer la plus lointaine. Que les dieux et les déesses confondent ces insensés, dont le luxe a franchi les limites de ce vaste empire, objet de la jalousie universelle. C’est de par delà le Phase qu’ils font venir les mets de leurs fastueuses orgies ; ils ne rougissent pas d’aller chercher des oiseaux jusque chez les Parthes, dont nous