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la volupté, qui mine les âmes par ses fausses douceurs, ne le pressent de leurs aiguillons ; il n’éprouve pas l’envie des succès d’autrui, et nul ne le poursuit de la sienne ; l’ignoble invective ne blesse pas ses modestes oreilles ; plus de désastres publics ou privés qui contristent sa prévoyance ; il n’attache pas son inquiète pensée à des événements futurs qui amènent toujours de plus graves incertitudes. Il habite désormais un séjour d’où rien ne peut le faire sortir, où rien ne saurait l’effrayer.

XX. Oh ! qu’ils s’aveuglent sur leurs misères, ceux qui ne bénissent pas la mort comme la plus belle institution de la nature ! soit qu’elle termine une destinée jusque-là heureuse ; soit qu’elle prévienne l’infortune ; soit qu’elle éteigne le vieillard rassasié de vie ou las d’une trop longue course ; soit qu’elle tranche la fleur de nos ans et l’espérance de jours meilleurs ; soit qu’elle rappelle l’enfance avant qu’elle se heurte aux écueils qui l’attendent, la mort est un terme pour tous les hommes, un remède pour beaucoup, le vœu même de quelques-uns, et elle ne mérite jamais mieux de nous, que lorsqu’elle n’attend pas qu’on l’invoque. Elle affranchit l’esclave en dépit du maître, brise la chaîne du captif, et fait tomber les inflexibles verrous que tient fermés la tyrannie. Elle montre à l’exilé, dont les regards et la pensée sont incessamment tournés vers la patrie, qu’il importe peu à quelles cendres se mêleront les nôtres. Si la fortune a iniquement réparti des biens qui de droit sont communs à tous ; si, de deux êtres nés égaux, elle a livré l’un en propriété à l’autre, la mort ramène entre eux l’égalité. Seule la mort ne fait rien d’après le caprice d’autrui : on n’y sent point la bassesse de son état, on n’y a point de maître à servir. O Marcia ! elle a été le vœu de votre père.