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que maison plus malheureuse, de quoi se consoler. Mais, certes, j’ai de vos sentiments une idée trop haute pour croire que vous porteriez plus légèrement l’infortune, si je faisais passer sous vos yeux l’immense foule de ceux qui pleurent. Il est inhumain de se consoler par le grand nombre des misérables. Écoutez pourtant quelques exemples, non pour apprendre qu’un deuil comme le vôtre est un accident journalier : il serait ridicule d’aller cherchant des preuves de la loi de mortalité ; mais pour savoir que bien des hommes ont adouci les plus rudes coups en les souffrant avec calme. Commençons par le plus heureux de tous. L. Sylla perdit son fils ; et cette perte n’arrêta ni le cours de ses guerres ni son indomptable ardeur à frapper ennemis et concitoyens, et ne donna pas à supposer qu’il eût, du vivant de son fils, adopté ce surnom d’Heureux, plutôt qu’après sa mort. Cet homme ne craignit ni la haine du genre humain, dont les maux fondaient seuls son excessive prospérité, ni le courroux des dieux qu’accusait trop hautement le bonheur d’un Sylla. Quand du reste on rangerait parmi les problèmes le jugement à porter sur Sylla, du moins, et ses ennemis mêmes l’avoueront, il déposa le glaive aussi heureusement qu’il l’avait pris ; du moins le point que je traite sera démontré : ce ne sont pas de fort grands malheurs, que ceux qui arrivent aux plus heureux des hommes.

XIII. Que la Grèce n’admire plus si exclusivement ce père qui, au milieu d’un sacrifice, apprenant que son fils était mort, se contenta de faire taire le joueur de flûte, d’ôter la couronne de son front, et continua jusqu’au bout la cérémonie. Ainsi a fait le pontife romain Pulvillus. Il présidait à la dédicace du Capitole ; il avait la main sur le jambage de la porte, quand il reçut une semblable nouvelle. Feignant de n’avoir