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Quand ses travaux ne vous auraient rien donné, son zèle rien conservé, ses talents rien acquis, l’avoir possédé, l’avoir aimé, n’est-ce rien pour vous ? — Mais j’en pouvais jouir plus longtemps, plus pleinement ! — Toujours fûtes-vous mieux traitée que si vous ne l’eussiez jamais eu. Si l’on nous donnait le choix d’être heureux pour peu de temps, ou de ne pas l’être du tout, qui ne préférerait un bonheur passager, à la privation totale de bonheur ? Auriez-vous mieux aimé un être dégénéré qui n’eût à vos yeux que tenu la place et porté le nom de fils, que la noble créature qui vous dut le jour ? Si jeune, et déjà tant de sagesse, tant d’amour filial, si tôt époux et si tôt père, si tôt fidèle à tous ses devoirs, si tôt orné du sacerdoce, si tôt devenu tout ce qu’il pouvait être !

Il est rare que les grandes félicités soient fort longues ; elles ne durent et ne vont jusqu’au bout que lorsqu’elles viennent lentement. Les dieux ne voulant vous donner un fils que pour peu de temps, vous l’ont sur-le-champ donné tel que l’eussent formé de longues années. Et vous ne pouvez pas même dire que ce soit par un triste privilège qu’ils vous ont enlevé cet objet de vos délices.

Promenez vos regards sur la multitude des hommes illustres ou vulgaires ; partout s’offriront à vous des malheurs plus grands que le vôtre. Ils ont atteint de grands capitaines ; ils ont atteint des potentats. La Fable même n’en a pas exempté ses divinités, afin sans doute que ce fût un allégement à nos douleurs, de voir jusqu’au sang des dieux sujet à la mort.

Encore une fois, jetez les yeux tout autour de vous : vous ne me citerez pas de famille si à plaindre qui ne voie, dans quel-