Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force ne sauraient faire ton bonheur : ni l’un ni l’autre ne résiste au temps. Il faut chercher ce qui ne se détériore pas de jour en jour, ce à quoi rien ne fait obstacle. Que sera-ce donc ? L’âme, mais l’âme dans sa droiture, sa bonté, sa grandeur. Peux-tu voir en elle autre chose qu’un Dieu qui s’est fait l’hôte d’un corps mortel35 ? Cette âme peut tomber dans un chevalier romain, comme dans un affranchi, comme dans un esclave. Qu’est-ce, en effet, qu’un chevalier, un affranchi, un esclave ? Qualifications créées par l’orgueil ou l’usurpation. On peut s’élever vers le ciel du lieu le plus infime ; eh bien,

Qu’un élan généreux 
Te transforme à ton tour en digne fils des dieux[1].

Mais se transformer ce n’est point reluire d’or et d’argent : on ne peut avec cette matière reproduire la ressemblance divine36 : songe qu’au temps où ils nous furent propices les dieux étaient d’argile[2].

LETTRE XXXII.

Compléter sa vie avant de mourir.

Je m’informe de toi et je demande à tous ceux qui viennent de tes parages ce que tu fais, où et avec qui tu demeures. Tu ne saurais me payer de mots : je suis avec toi. C’est à toi de vivre comme si j’allais apprendre tous tes actes ou plutôt les voir. Veux-tu savoir, dans tout ce qu’on me dit de toi, ce qui me charme le plus ? Que l’on ne m’en dit rien, que la plupart de ceux que j’interroge ignorent ce que tu fais. Voilà qui est salutaire, de ne pas vivre avec qui ne nous ressemble point et a des goûts différents des nôtres. Oui, j’ai la confiance qu’on ne pourra te faire dévier et que tu persisteras dans tes plans, en dépit des sollicitations qui t’assiègent en foule. Que te dirai-je ? Je ne crains pas que l’on te change, mais qu’on embarrasse ta marche. C’est beaucoup nuire déjà que d’arrêter : cette vie est si courte ! et notre inconstance l’abrège encore en nous la fai-

  1. Éneid., VIII, 364.
  2. Voy. Consol. à Helvia, X, et la note.