Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
620
QUESTIONS NATURELLES.

vit plus. Voilà, sur les comètes, tout ce que je sache d’intéressant pour moi ou pour les autres. Suis-je dans le vrai ? Les dieux le savent[1], eux qui connaissent la vérité. Pour nous, nous ne pouvons rien que chercher à tâtons, que cheminer dans l’ombre et par conjecture, sans être sûrs de trouver juste, comme sans désespérer.

XXX. Aristote dit excellemment : « Ne soyons jamais plus circonspects que lorsque nous parlons des dieux. » Si nous entrons dans les temples avec recueillement, si nous n’approchons d’un sacrifice que les yeux baissés, la toge ramenée sur la poitrine, avec tous les signes d’une réserve qui fait de nous comme d’autres hommes ; combien plus de retenue ne doit-on pas s’imposer quand on discute sur les astres, les planètes, la nature des dieux, pour n’avancer rien de téméraire ou d’irrévérencieux, ne pas affirmer ce qu’on ne sait point, ni mentir à ce que l’on sait ! Faut-il s’étonner qu’on découvre si lentement ce qui est si profondément caché ! Panætius et ceux qui veulent faire croire que les comètes ne sont pas des astres ordinaires, qu’elles n’en ont que la fausse apparence, ont soigneusement examiné si toutes les saisons sont également propices à ces apparitions ; si toute région du ciel est apte à les créer ; si elles peuvent se former partout où elles peuvent se porter, et autres questions qui s’évanouissent toutes, quand je prouve que les comètes ne sont pas des embrasements fortuits, mais entrent dans la constitution même du ciel, qui les montre rarement et nous cache leurs évolutions. Combien d’autres corps roulent en secret dans l’espace, et ne se lèvent jamais pour les yeux de l’homme ! Dieu, en effet, n’a pas fait toute chose pour nous. Quelle faible portion de ce vaste ensemble est accordée à nos regards ! L’arbitre, le créateur, le fondateur de ce grand tout dont il s’est fait le centre ; ce Dieu, la plus haute et la meilleure partie de son ouvrage, se dérobe lui-même à nos yeux ; il n’est visible qu’à la pensée4.

XXXI. Bien d’autres puissances, voisines de l’être suprême par leur nature et leur pouvoir, nous sont inconnues, ou peut-être, merveille plus grande, échappent à nos yeux à force de les éblouir, soit que des substances si ténues deviennent imperceptibles à la vue de l’homme, soit que leur majestueuse sainteté se cache dans une retraite profonde pour gouverner leur empire c’est-à-dire elles-mêmes, et ne laisser d’accès qu’à l’âme.

  1. (a) Je lis avec deux Mss. : di sciunt. Lemaire : discutiant.