Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
600
QUESTIONS NATURELLES.

gère tous périls, soit les tremblements de terre, soit la foudre. Tous ces périls, tu les braveras avec constance, si tu songes qu’entre la plus courte et la plus longue vie la différence est nulle : quelques heures de perdues. Admets que ce soient des jours, que ce soient des mois, que ce soient des années, nous perdons ce qu’il eût toujours fallu perdre. Qu’importe, dis-moi, que j’arrive ou non à ce temps qui fuit, que les plus avides à le saisir n’arrêtent pas ? Ni l’avenir n’est à moi, ni le passé. Je flotte suspendu sur un point de la mobile durée7 ; avoir été, en ce court moment, est-ce une grande chose ? Écoute la piquante réponse du sage Lélius à l’homme qui disait : « J’ai soixante ans ! — Parlez-vous des soixante ans que vous n’avez plus8 ? » La vie est de nature insaisissable, et jamais le temps n’appartient à l’homme ; voilà ce que nous ne sentons pas, nous qui ne comptons que des années déjà perdues. Gravons dans nos âmes et ne cessons de répéter cet avertissement : Il faut mourir ! Quand ? Peu importe. La mort est la loi de la nature, le tribut et le devoir des mortels, le remède de tous les maux. Il la souhaitera celui qui en a peur. Lucilius, laisse là tout le reste, et applique-toi uniquement à ne pas craindre ce mot : la mort. Rends-toi-la familière à force d’y penser, pour qu’au besoin tu puisses même courir au-devant d’elle.


LIVRE VII.

Des comètes. Quelle est leur nature. Importance des études qui ont pour objet les phénomènes naturels. On les néglige, on les oublie pour se donner tout entier à la mollesse et aux vices.

I. Il n’est mortel si apathique, si obtus, si courbé vers la terre, qui ne se redresse et ne tende de toutes les forces de sa pensée vers les choses divines, quand surtout quelque nouveau phénomène apparaît dans les cieux. Tant que là-haut tout suit son cours journalier, l’habitude du spectacle en dérobe la grandeur. Car l’homme est ainsi fait. Si admirable que soit ce qu’il voit tous les jours, il passe indifférent, tandis que les choses les moins importantes, dès qu’elles sortent de l’ordre accoutumé, le captivent et l’intéressent. Tout le chœur