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LIVRE VI.

Les villes et les champs désormais séparés.
D’un flanc de l’Hespérie il a fait la Sicile :[1].


Tu vois des contrées entières arrachées de leurs bases, et au delà de la mer des champs qui touchaient les nôtres ; tu vois des villes même et des nations se partager en deux, quand la nature, dans ses révoltes locales et spontanées, déchaîne sur quelque point la mer, le feu, les trombes d’air, puissances prodigieuses, car c’est elle tout entière qui les met en branle, car si elles frappent partiellement, elles ont pour frapper la force du grand tout. Ainsi la mer a ravi les Espagnes au continent africain ; ainsi l’irruption chantée par de grands poëtes a retranché la Sicile de l’Italie. Mais il y a quelque peu plus de fougue dans l'effort qui part du centre de la terre, d’autant plus énergique qu’il est plus gêné pour agir. Mais c’est assez parler des vastes effets et des merveilleux phénomènes qu’offrent les tremblements de terre.

XXX. Pourquoi donc s’étonner de voir éclater le bronze d’une statue non massive, mais creuse et mince, où l’air peut s’être enfermé et d’où il veut fuir ? Qui ne sait que, par les tremblements du sol, des édifices se sont fendus diagonalement, puis rejoints : que souvent d’autres, portant à faux sur leurs bases, ou bâtis trop négligemment et de peu de consistance, se sont raffermis ? Que si alors on voit des murs, des maisons entières se fendre, les pans les plus solides des tours se déchirer, les assises de vastes ouvrages manquer sur tous les points, est-ce un fait bien digne de remarque qu’une statue se soit divisée en deux parties égales de la tête aux pieds ? Mais pourquoi le tremblement dura-t-il plusieurs jours en Campanie ? Car les secousses y furent incessantes, plus clémentes sans doute qu’au début, mais désastreuses, vu qu’elles ébranlaient des masses déjà attaquées et branlantes, qui pour tomber n’avaient pas besoin, tant elles tenaient mal, d’être poussées, mais seulement remuées. C’est que tout l’air n’était pas sorti ; et bien qu’il fût dehors en grande partie[2], il errait encore çà et là.

XXXI. À tous les arguments qui démontrent que l’air produit tout cela, on peut, sans hésiter, joindre celui-ci : Après une violente secousse, qui a maltraité des villes, des contrées entières, la secousse subséquente ne saurait être aussi vive ; à cette première en succèdent de moindres, le plus fort courant

  1. Éneide, III, 414.
  2. Lemaire : omissa parte. Je lis avec deux Mss. : emissa sui parte.