Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
594
QUESTIONS NATURELLES.

Chalcis tremblait, Thèbes restait immobile ? Quand la ville d’Ægium était bouleversée, Patras, qui en est si voisine, ne le sut que par ouï-dire. L’immense secousse qui effaça du sol Hélice et Buris s’arrêta en deçà d’Ægium. Il est donc évident que le mouvement ne se prolonge qu’à proportion de l’étendue du vide souterrain.

XXVI. Je pourrais ici m’appuyer fort au long de grandes autorités, lesquelles nous disent que jamais le sol de l’Égypte n’a tremblé. La raison qu’elles en donnent, c’est qu’il est tout entier formé de limon. En effet, s’il faut en croire Homère, Pharos était éloignée du continent de tout l’espace que peut franchir en un jour un vaisseau voguant à pleines voiles ; elle fait maintenant partie de ce continent. En effet, les eaux bourbeuses du Nil, chargées d’une vase épaisse qu’elles déposent incessamment sur le sol primitif, l’ont toujours reculé par ces alluvions annuelles. Aussi ce terrain, gras et limoneux, n’offre-t-il aucun interstice ; enrichi d’une croûte solide à mesure que se desséchait la vase, d’une couche concrète et cohérente par l’agglutination de ses molécules, aucun vide ne s’y put former, puisque toujours aux parties sèches venaient s’ajouter des matières liquides et molles. Cependant et l’Égypte tremble et aussi Délos, que de son chef Virgile déclare

Immobile, sacrée, inébranlable aux vents[1].


Les philosophes aussi, race crédule, en avaient dit autant, sur la foi de Pindare. Thucydide prétend que, jusque-là toujours immobile, elle trembla vers le temps de la guerre du Péloponnèse. Callisthène parle d’une autre secousse à une époque différente. « Parmi les nombreux prodiges, dit-il, qui annoncèrent la destruction d’Hélice et de Buris, les plus frappants furent une immense colonne de feu, et la secousse que ressentit Délos. » Selon lui, cette île demeure ferme, parce que, sur la mer où elle est assise, elle a pour bases des roches poreuses et des pierres perméables où l’air s’engage et d’où il peut sortir ; qu’ainsi encore le sol des îles est mieux assuré, et les villes d’autant plus à l’abri des secousses, qu’elles sont plus voisines de la mer. Assertion fausse, comme ont pu le sentir Herculanum et Pompeï. Toutes les côtes, au reste, sont sujettes aux tremblements de terre. Témoin Paphos, renversée plus

  1. Enéide, III,77.