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LETTRES DE SÉNÈQUE

faire aussi, ce me semble, dans la philosophie. Quelqu’un ouvre-t-il un avis que je goûte en partie : « Divisez-le, lui dis-je, et je suis pour vous quant au point que j’approuve. » Si je cite volontiers toute noble parole d’Épicure, c’est surtout pour les gens qui se réfugient dans sa doctrine séduits par un coupable espoir, s’imaginant trouver là un voile à leurs vices[1] : je veux leur prouver que, n’importe le camp où ils passent, il leur faut vivre vertueusement. Lorsqu’ils approcheront de ces modestes jardins, de l’inscription qui les annonce : « Passant, tu feras bien de rester ici ; ici le suprême bonheur est la volupté ! » il sera obligeant le gardien de cette demeure, hospitalier, affable ; c’est avec de la bouillie qu’il te recevra ; l’eau te sera largement versée, et il te demandera si tu te trouves bien traité. « Ces jardins, dira-t-il, n’excitent pas la faim, ils l’apaisent ; ils n’allument pas une soif plus grande que les moyens de la satisfaire : ils l’éteignent par un calmant naturel et qui ne coûte rien. Voilà dans quelle volupté j’ai vieilli. » Je ne parle ici que de ces désirs qui n’admettent point de palliatif, auxquels il faut quelque concession pour qu’ils cessent. Pour ceux qui sortent de la règle, qu’on peut remettre à plus tard, ou corriger et étouffer, je ne dirai qu’un mot : cette volupté, bien que dans la nature, n’est point dans la nécessité ; tu ne lui dois rien : si tu lui fais quelque sacrifice, il sera bénévole. L’estomac est sourd aux remontrances : il réclame, il exige son dû ; ce n’est pas toutefois un intraitable créancier ; pour peu de chose il nous tient quittes : qu’on lui donne seulement ce qu’on doit, non tout ce qu’on peut.


LETTRE XXII.

Manière de donner les conseils. — Quitter les affaires. — Peur de la mort.

Tu sens déjà mieux le besoin de te dérober aux brillantes misères de ta charge ; mais comment y parvenir ? Tu le demandes : il est des avis qu’on ne donne que sur place. Un médecin ne saurait préciser par lettres l’heure du repas ou du bain ; il

  1. Voy. La Vie heureuse, XII, XIII ; et Cic. in Pisonem XXVIII.