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QUESTIONS NATURELLES.

On trouve aussi dans d’autres auteurs que la terre s’étant ouverte en un endroit, il en sortit assez longtemps un courant d’air qui évidemment s’était frayé le passage par où il débouchait.

XVIII. La grande cause des tremblements de terre est donc ce fluide, naturellement fougueux, qui court de place en place. Tant qu’il ne reçoit nulle impulsion, enseveli dans un espace libre, il y repose inoffensif et ne tourmente pas ce qui l’environne. Si un moteur accidentel le trouble, le repousse, le tient à l’étroit, il ne fait encore que céder et vaguer au hasard. Mais si tout moyen de fuir lui est enlevé, et si tout lui fait obstacle, alors

Il fait mugir les monts,
Et frémit avec rage en ses noires prisons[1],


qui longtemps ébranlées se brisent et volent en éclats ; il s’acharne d’autant plus que la résistance est plus forte et la lutte plus longue. Enfin, quand il a longtemps parcouru les lieux où il est enfermé et dont il n’a pu s’évader, il rebrousse vers le point même d’où vient la pression, et s’infiltre par des fentes cachées faites par ses secousses mêmes, ou s’élance au dehors par une brèche nouvelle. Ainsi rien ne peut contenir une telle force ; point de barrière qui arrête le vent ; il les rompt toutes, il emporte tous les fardeaux, il se glisse en d’étroites fissures, qu’il agrandit pour se mettre à l’aise ; indomptable nature, puissance libre et impétueuse, qui reprend toujours ses droits. Oui, c’est là une chose invincible ; et il n’est prison au monde

Qui retienne, enchaînés sous des lois prévoyantes,
Les indociles vents, les tempêtes bruyantes[2].


Sans doute la poésie, par ce mot de prison, a voulu entendre ce lieu souterrain qui les cache et qui les recèle. Mais elle n’a point vu que ce qui est enfermé n’est point encore un vent, et que ce qui est vent ne supporte point de clôture. L’air captif est calme et stagnant ; qui dit vent dit toujours fuite. Ici se présente un nouvel argument, qui prouve que les tremblements de terre sont produits par l’air. C’est que nos corps mêmes ne frissonnent que si quelque désordre en agite l’air intérieur, condensé par la crainte, ou alangui par l’âge, ou engourdi

  1. Éneide, I, 55.
  2. Enéide, I, 53.