Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui rappelons quel fonds modique la nature constitue à l’homme. Nul n’est riche en naissant : quiconque vient à la lumière est tenu de se contenter de lait et d’un lambeau de toile. Et après de tels commencements, des royaumes sont pour nous trop étroits !


LETTRE XXI.

Vraie gloire du philosophe. – Éloge d’Épicure.

Tu as fort à faire, penses-tu, contre les obstacles dont parle ta lettre ? Ta plus grande affaire est avec toi-même, c’est toi qui te fais obstacle. Incertain de ce que tu veux, tu sais mieux approuver ce qui est honorable que le suivre : tu vois où réside la félicité, mais tu n’oses aller jusqu’à elle. Ce qui t’arrête, tu ne t’en rends pas bien compte ; je vais te le dire. Tu trouves grand le sacrifice que tu vas faire ; et quand tu t’es donné pour but la sécurité à laquelle tu es près de passer, tu es retenu par tout cet éclat d’une vie qui va recevoir tes adieux, comme si de là tu devais tomber dans une obscure abjection. Erreur ! Lucilius : de ta vie à la vie du sage on ne peut que monter. Comme la lumière se distingue de ses reflets, car elle émane d’un foyer certain qui lui est propre, et ceux-ci ont un éclat d’emprunt ; ainsi la vie dont je parle diffère de la tienne. Ce qui brille en la tienne, c’est du dehors qu’elle l’a reçu ; la moindre interposition l’éclipse et l’obscurcit soudain : la vie du sage resplendit de ses seuls rayons. De tes études en sagesse viendra ton vrai lustre, ton anoblissement. Rapportons ici un mot d’Épicure. Dans une lettre à Idoménée, que des vaines pompes de sa charge il rappelait à la fidèle et solide gloire, il disait à ce ministre d’un pouvoir inflexible, à cet homme qui tenait les rênes d’un grand empire. « Si c’est la gloire qui te touche, tu seras plus connu par ma correspondance que par toutes ces grandeurs que tu courtises, et pour lesquelles tu es courtisé. » Et n’a-t-il pas dit vrai ? Qui connaîtrait Idoménée, si Épicure n’avait buriné ce nom dans ses lettres ? Tous ces grands, ces satrapes et le grand roi lui-même duquel Idoménée empruntait son relief, un profond oubli les a dévorés5. Les lettres de Cicéron ne permettent pas que le nom d’Atticus