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LIVRE IV.

sons, c’est de leur modification et de leur mélange avec l’air que naît le vent. Car je ne puis me résoudre à admettre ni à taire cette idée que, tout comme dans le corps humain la digestion donne lieu à des vents qui offensent vivement l’odorat, et dont nos entrailles se débarrassent tantôt bruyamment, tantôt en silence ; de même cet immense corps de la nature enfante des vents lorsqu’il digère. Il est heureux pour nous que ses digestions soient toujours bonnes : autrement nous aurions à craindre quelque chose de bien suffoquant. Ne serait-il pas plus vrai de dire que de toutes les parties du globe il s’élève incessamment des masses de corpuscules qui, d’abord agglomérés, puis raréfiés peu à peu par l’action du soleil, exigent, comme tout corps comprimé qui se dilate, un espace plus considérable, et donnent naissance au vent ?

V. Eh quoi ! n’y aurait-il pas, selon toi, d’autre cause des vents que les évaporations de la terre et des eaux qui, après avoir pesé sur l’atmosphère, se séparent impétueusement, et, de compactes qu’elles étaient, venant à se raréfier, s’étendent nécessairement plus au large ? J’admets aussi cette cause. Mais une autre beaucoup plus vraie et la plus puissante, c’est que l’air a naturellement la propriété de se mouvoir, qu’il n’emprunte point d’ailleurs, mais qui est en lui tout comme mainte autre faculté. Peux-tu croire que l’homme ait reçu la puissance de se mouvoir, et que l’air seul demeure inerte et incapable de mouvement ? L’eau n’a-t-elle pas le sien, même en l’absence de tout vent ? Autrement elle ne produirait aucun être animé. Ne voyons-nous pas la mousse naître dans son sein, et des végétaux flotter à sa surface ?

VI. Il y a donc un principe vital dans l’eau : que dis-je dans l’eau ? Le feu, par qui tout se consume, est lui-même créateur, et, chose invraisemblable, qui pourtant est vraie, certains animaux lui doivent naissance. Il faut donc que l’air possède une vertu analogue ; et c’est pourquoi tantôt il se condense, tantôt se dilate et se purifie ; d’autres fois, il rapproche ses parties, puis il les sépare et les dissémine. Il y a donc entre l’air et le vent la même différence qu’entre un lac et un fleuve. Quelquefois le soleil lui seul produit le vent, en raréfiant l’air épaissi, qui perd, pour s’étendre, sa densité et sa cohésion.

VII. Nous avons parlé des vents en général ; entrons maintenant dans le détail. Peut-être découvrirons-nous comment ils se forment, si nous découvrons quand et où ils prennent leur origine. Examinons d’abord ceux qui soufflent avant l’aurore