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LIVRE IV.

moins. Par conséquent, de même que les petites étuves et les petites baignoires s’échauffent promptement, ainsi ces cavités secrètes et imperceptibles à l’œil sentent plus rapidement la chaleur, et, grâce à leurs étroites proportions, sort moins promptes à rendre ce qu’elles ont reçu. »

X. Ce long préliminaire nous amène à la question. Plus l’air est proche de la terre, plus il est dense. De même que dans l’eau et dans tout liquide la lie est au fond, ainsi les parties de l’air les plus denses se précipitent en bas. Or, on vient de prouver que les matières les plus compactes et les plus massives gardent le plus fidèlement la chaleur qu’elles ont contractée ; mais, plus l’air est élevé et loin des grossières émanations du sol, plus il est pur et sans mélange. Il ne retient donc pas la chaleur du soleil ; il la laisse passer comme à travers le vide, et par là même s’échauffe moins.

XI. Cependant quelques-uns disent que la cime des montagnes doit être d’autant plus chaude qu’elle est plus près du soleil. C’est s’abuser, ce me semble, que de croire que l’Apennin, les Alpes et les autres montagnes connues par leur extraordinaire hauteur, soient assez élevés pour se ressentir du voisinage du soleil. Elles sont élevées relativement à nous ; mais, comparées à l’ensemble du globe, leur petitesse à toutes est frappante. Elles peuvent se surpasser les unes les autres ; mais rien n’est assez haut dans le monde pour que la grandeur même la plus colossale marque[1] dans la comparaison du tout. Si cela n’était, nous ne définirions pas le globe une immense boule. Un ballon a pour forme distinctive une rondeur à peu près égale en tous sens, comme celle que peut avoir une balle à jouer. Ses fentes et ses coutures n’y font pas grand’chose, et n’empêchent pas de dire qu’elle est également ronde partout. Tout comme sur ce ballon ces solutions n’altèrent nullement la forme sphérique, ainsi, sur la surface entière du globe, les proportions des plus hautes montagnes ne sont rien, quand on les compare à l’ensemble. Ceux qui diraient qu’une haute montagne recevant de plus près le soleil, en est d’autant plus tôt chaude, n’ont qu’à dire aussi qu’un homme de taille élevée doit avoir plus tôt chaud qu’un homme de petite taille, et plus tôt chaud à la tête qu’aux pieds. Mais quiconque mesurera le monde à sa vraie mesure, et réfléchira que la terre n’est qu’un point dans l’espace, concevra qu’il ne peut y avoir

  1. Lemaire : nulla sit. Il faut lire, avec deux manusc. : ulla.