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QUESTIONS NATURELLES.

contre : il faudrait qu’il vînt du même point qu’eux, si son accroissement était leur ouvrage. De plus, il sortirait pur et azuré de la mer, et non pas trouble comme il est. Ajoute que le témoignage d’Euthymène est réfuté par une foule d’autres. Le mensonge avait libre carrière, quand les plages étrangères étaient inconnues ; on pouvait de là nous envoyer des fables, À présent, la mer extérieure est côtoyée sur tous ses bords par des trafiquants dont pas un ne raconte qu’aujourd’hui le Nil soit azuré ou que l’eau de la mer soit douce. La nature elle-même repousse cette idée ; car les parties les plus douces et les plus légères sont pompées par le soleil. Et encore pourquoi le Nil ne croît-il pas en hiver ? Alors aussi la mer peut être agitée par des vents quelque peu plus forts que les étésiens, qui sont modérés. Si le mouvement venait de l’Atlantique, il couvrirait tout d’un coup l’Égypte : or l’inondation est graduelle. Œnopide de Chio dit que l’hiver la chaleur est concentrée sous terre ; ce qui fait que les cavernes sont chaudes, l’eau des puits relativement tiède, et qu’ainsi les veines de la terre sont desséchées par cette chaleur interne. Mais, dans les autres pays, les pluies font enfler les rivières. Le Nil, qu’aucune pluie n’alimente, diminue l’hiver et augmente pendant l’été, temps où la terre redevient froide à l’intérieur et les sources fraîches. Si cette cause était la vraie, tous les fleuves devraient grossir, et tous les puits hausser pendant l’été ; outre cela, la chaleur n’augmente pas, l’hiver, dans l’intérieur de la terre. L’eau, les cavernes, les puits semblent plus chauds, parce que l’atmosphère rigoureuse du dehors n’y pénètre pas. Ainsi ce n’est pas qu’ils soient chauds, c’est qu’ils excluent le froid. La même cause les rend froids en été, parce que l’air échauffé, qui en est loin, ne saurait passer jusque-là. Selon Diogène d’Apollonie, le soleil pompe l’humidité ; la terre desséchée la reprend à la mer et aux autres eaux. Or, il ne peut se faire qu’une terre soit sèche et l’autre riche d’humidité ; car elles sont toutes poreuses et perméables de l’une à l’autre[1]. Les terrains secs empruntent aux humides. Si la terre ne recevait rien, elle ne serait que poussière. Le soleil attire donc les eaux ; mais les régions où elles se portent sont surtout les régions méridionales. La terre, desséchée, attire alors à elle plus d’humidité ; tout comme dans les lampes, l’huile afflue où elle se consume, ainsi l’eau se rejette vers les lieux où une

  1. Je lis avec Fickert : et invicem pervia… Lemaire : in itinera pervia.