Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
545
LIVRE IV.

Sicile possède en elle et autour d’elle nombre de merveilles, je passerai sous silence tout ce qui est relatif à cette province, et reporterai tes réflexions sur un autre point. Je vais m’occuper avec toi d’une question que je n’ai point voulu traiter au livre précédent, savoir, pourquoi le Nil croît si fortement en été. Des philosophes ont écrit que le Danube est de même nature que ce fleuve, parce que leur source à tous deux est inconnue, et qu’ils sont plus forts l’été que l’hiver. Chacun de ces points a été reconnu faux : on a découvert que la source, du Danube est eu Germanie ; et s’il commence à croître en été, c’est quand le Nil reste encore enfermé dans son lit, dès les premières chaleurs, lorsque le soleil, plus vif à la fin du printemps, amollit les neiges, qu’il a dû fondre avant que le gonflement du Nil soit sensible. Pendant le reste de l’été le Danube diminue, revient à ses proportions d’hiver et tombe même au-dessous.

II. Mais le Nil grossit avant le lever de la canicule, au milieu de l’été, jusqu’après l’équinoxe. Ce fleuve, le plus noble de ceux que la nature étale aux yeux de l’homme, elle a voulu qu’il inondât l’Égypte à l’époque où la terre, brûlée par le soleil, absorbe plus profondément ses eaux, et doit en retenir assez pour subvenir à la sécheresse du reste de l’année. Car, dans ces régions qui s’étendent vers l’Éthiopie, les pluies sont nulles ou rares, et ne profitent point à un sol qui n’est pas habitué aux eaux du ciel. Tout l’espoir de l’Égypte, comme tu sais, est dans le Nil. L’année est stérile ou abondante, selon qu’il a été avare ou libéral de ses eaux. Jamais le laboureur ne consulte l’état du ciel. Mais pourquoi avec toi, mon poëte, ne pas jouer à la métaphore, ne pas te décocher celle-ci, de ton cher Ovide :

Les champs n’implorent point Jupiter pluvieux[1]?


Si l’on pouvait découvrir où le Nil commence à croître, les causes de son accroissement seraient trouvées. Tout ce qu’on sait, c’est qu’après s’être égaré dans d’immenses solitudes où il forme de vastes marais, et se partage entre vingt nations, il rassemble d’abord autour de Philé ses flots errants et vagabonds. Philé est une île d’accès difficile, escarpée de toutes parts. Elle a pour ceinture deux rivières qui, à leur confluent, deviennent le Nil et portent ce nom. Le Nil entoure toute la

  1. Le vers n’es point d’Ovide, mais de Tibulle, I, Élég. vii.