Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
532
QUESTIONS NATURELLES.

tions s’opèrent non-seulement quand la tempête bouleverse les flots, mais par le calme le plus profond.

XXVII. Ici je me sens invité à rechercher comment, quand viendra le jour fatal du déluge, la plus grande partie de la terre sera submergée. L'Océan avec toute sa masse et la mer extérieure se soulèveront-ils contre nous ? Tombera-t-il des torrents de pluies sans fin ; ou, sans laisser place à l’été, sera-ce un hiver opiniâtre qui brisera les cataractes du ciel, et en précipitera une énorme quantité d’eaux ; ou les fleuves jailliront-ils plus vastes du sein de la terre, qui ouvrira des réservoirs inconnus ; ou plutôt, au lieu d’une seule cause à un si terrible événement, tout n’y concourra-t-il pas, et la chute des pluies, et la crue des fleuves, et les mers chassées de leurs lits pour nous envahir ? Tous les fléaux ne marcheront-ils pas d’ensemble à l’anéantissement de la race humaine ? Oui, certes ; rien n’est difficile à la nature, quand surtout elle a hâte de se détruire elle-même. S’agit-il de créer, elle est avare de ses secours, et ne les dispense que pour d’insensibles progrès ; c’est brusquement, de toute sa force, qu’elle vient briser son œuvre. Que de temps ne faut-il pas pour que le fœtus, une fois conçu, se maintienne jusqu’à l’enfantement ! Que de peines pour élever cet âge si tendre ! que de soins pour le nourrir, pour conduire ses frêles organes jusqu’à l’adolescence ! Et comme un rien défait tout l’ouvrage ! Il faut tant d’années pour bâtir une ville, qu’une heure va ruiner ! un moment réduit en cendres une forêt d’un siècle[1]. Un puissant mécanisme soutient et anime tout ; et, d’un seul coup, soudain tout vole en pièces. Que la nature vienne à fausser le moindre de ses ressorts, c’est assez pour que l’humanité périsse. Lors donc qu’arrivera l’inévitable catastrophe, la destinée fera surgir mille causes à la fois : une telle révolution n’aurait pas lieu sans une secousse universelle, comme pensent certains philosophes, et Fabianus est du nombre. D’abord tombent des pluies excessives ; plus de soleil aux cieux, qu’assombrissent les nuages et un brouillard permanent, sorti d’humides et épaisses ténèbres qu’aucun vent ne vient éclaircir. Dès lors le grain se corrompt dans la terre, et de maigres chaumes grandissent sans épis. Tout ce que sème l’homme se dénature, l’herbe des marais croît sur toute la campagne ; bientôt le mal atteint des végétaux plus puissants. Détaché de ses racines, l’arbre entraîne la vigne dans sa chute ; nul arbris-

  1. Voy. Lettre xci.