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LIVRE III.

proportionnée à la légèreté de l'objet, s’il est plus pesant, il descendra. Si l’eau et le corps comparés sont de poids égaux, il ne plongera ni ne montera ; il se nivellera avec l'eau, flottant, il est vrai, mais presque enfoncé et ne dépassant en rien la surface. Voilà pourquoi on voit flotter des poutres, les unes presque entièrement élevées sur l’eau, les autres à demi submergées, d’autres en équilibre avec le courant. En effet, quand le corps et l’eau sont d’égale pesanteur, aucun des deux ne cède à l’autre ; le corps est-il plus lourd, il s’enfonce ; plus léger, il surnage. Or, sa pesanteur et sa légèreté peuvent s’apprécier, non par nos mesures, mais par le poids comparatif du liquide qui doit le porter. Lors donc que l'eau est plus pesante qu’un homme ou qu’une pierre, elle empêche invinciblement la submersion. Il arrive ainsi que, dans certains lacs, les pierres même ne peuvent aller à fond. Je parle des pierres dures et compactes ; car il en est beaucoup de poreuses et de légères qui, en Lydie, forment des îles flottantes, au dire de Théophraste. J’ai vu moi-même une île de ce genre à Cutilies : il en existe une sur le lac de Vadimon, une autre sur celui de Staton. L’île de Cutilies est plantée d’arbres et produit de l’herbe, et cependant l’eau la soutient : elle est poussée çà et là, je ne dis pas par le vent seulement, mais par la moindre brise ; ni jour ni nuit elle ne demeure stationnaire, tant elle est mobile au plus léger souffle ! Cela tient à deux causes : à la pesanteur d’une eau chargée de principes minéraux, et à la nature d’un sol qui se déplace facilement, n’étant point d’une matière compacte, bien qu’il nourrisse des arbres. Peut-être cette île n’est-elle qu’un amas de troncs d’arbres légers et de feuilles semées sur le lac, qu’une humeur glutineuse aura saisis et agglomérés. Les pierres même qu’on peut y trouver sont poreuses et perméables, pareilles aux concrétions que l’eau forme en se durcissant, surtout aux bords des sources médicinales, où les immondices des eaux sont rapprochées et consolidées par l’écume. Un assemblage de cette nature, où il existe de l’air et du vide, a nécessairement peu de poids. Il est des choses dont on ne peut rendre compte : pourquoi par exemple, ]’eau du Nil rend-elle les femmes fécondes au point que celles même dont une longue stérilité a fermé le sein deviennent capables de concevoir ? Pourquoi certaines eaux, en Lycie, ont-elles pour effet de maintenir le germe, et sont-elles visitées par les femmes sujettes à l’avortement ? Pour moi, ces idées populaires me semblent peu réfléchies. On a cru que certaines eaux donnaient