Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
LIVRE III.

lieux d’où elle vient et de ceux qu’elle a traversés. La saveur des herbages se retrouve dans le lait ; et le vin, devenu vinaigre, garde, au goût, de sa qualité ; point de substance qui ne représente quelque trace de ce qui l’a produite.

XXII. Il y a une autre espèce d’eaux que nous croyons aussi anciennes que le monde : s’il a toujours été, elles furent de tout temps ; s’il a eu un commencement, elles datent de la grande création. Et ces eaux, quelles sont-elles ? L’Océan et les mers méditerranées qui en sortent. Selon quelques philosophes, certains fleuves aussi, dont on ne peut expliquer la nature, sont contemporains du monde même ; comme l’Ister, le Nil, immenses cours d’eau, trop exceptionnels pour qu’on puisse leur donner la même origine qu’aux autres.

XXIII. Telle est la division des eaux, établie par quelques auteurs. Après cela ils appellent célestes les eaux que les nuages épanchent du haut des airs ; dans les eaux terrestres ils distinguent celles que je nommerai surnageantes et qui rampent à la surface du sol, puis celles qui se cachent sous terre, et dont nous avons rendu compte.

XXIV. D’où vient qu’il existe des eaux chaudes, quelques-unes même tellement bouillantes, qu’on ne peut en faire usage qu’après les avoir laissées s’évaporer à l’air libre, ou en les tempérant par un mélange d’eau froide ? On explique ce fait de plusieurs façons. Selon Empédocle, les feux qu’en maint endroit la terre couve et recèle, échauffent l’eau qui traverse les couches au-dessous desquelles ils sont placés. On fabrique tous les jours des serpentins, des cylindres, des vases de diverses formes, dans l’intérieur desquels on ajuste de minces tuyaux de cuivre qui vont en pente et forment plusieurs contours, et ainsi l’eau, se repliant plusieurs fois au-dessus du même feu, parcourt assez d’espace pour s’échauffer au passage. Elle entre froide, elle sort brûlante. Empédocle estime que la même chose a lieu sous terre ; et il n’aura pas tort dans l’opinion de ceux qui échauffent leurs bains sans y faire de feu. Dans un local déjà fort chaud on introduit un air brûlant qui, par les canaux où il passe, agit, comme ferait la présence du feu même, sur les murs et les ustensiles du bain. Ainsi, de froide qu’elle était toute l’eau s’échauffe dans ses nombreux circuits ; et l’évaporation ne lui ôte pas sa saveur propre, parce qu’elle coule enfermée.

D’autres pensent que les eaux, en sortant ou en entrant dans des lieux remplis de soufre, empruntent leur chaleur à la ma-