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QUESTIONS NATURELLES.

ville ; quand les cultivateurs revinrent, les eaux reparurent. Il donne pour cause de ce dessèchement le resserrement du sol, qui s’était durci, et qui, n’étant plus remué, ne pouvait plus livrer passage aux pluies. Pourquoi donc voyons-nous des sources nombreuses aux lieux les plus déserts ? Il y a beaucoup plus de terrains cultivés à cause de leurs eaux, que de terrains où l’eau n’est venue qu’avec la culture. Ce n’est pas de l’eau pluviale, celle qui roule en fleuves immenses, navigables dès leur source ; ce qui le prouve, c’est que l’été comme l’hiver leur source verse la même quantité d’eau. La pluie peut former un torrent, et non pas ces fleuves qui coulent entre leurs rives d’un cours égal et soutenu ; elle ne les forme pas, mais elle les grossit.

XII. Reprenons la chose de plus haut, si bon te semble, et tu verras que rien ne t’embarrassera plus si tu examines de près la véritable origine des fleuves. Un fleuve est le produit d’un volume d’eau qui s’épanche sans interruption. Or, si tu me demandes comment se forme cette eau, je te demanderai, moi, comment se forme l’air ou la terre ? S’il existe quatre éléments, tu ne peux demander d’où vient l’eau, puisqu’elle est un des quatre éléments. Pourquoi s’étonner qu’une portion si considérable de la nature puisse fournir d’elle-même à des écoulements perpétuels ? Tout comme l’air, qui est aussi l’un des quatre éléments, produit les vents et les orages, ainsi l’eau produit les ruisseaux et les fleuves. Si le vent est un cours d’air, le fleuve est un cours d’eau. J’attribue à l’eau assez de puissance, quand je dis : C’est un élément. Tu comprends que ce qui vient d’une pareille source ne saurait tarir.

XIII. L’eau, dit Thalès, est le plus puissant des éléments, le premier en date, celui par qui tout a pris vie. Nous pensons comme Thalès, au moins sur le dernier point. En effet, nous prétendons que le feu doit s’emparer du monde entier et convertir tout en sa propre substance, puis s’évaporer, s’affaisser, s’éteindre et ne rien laisser autre chose dans la nature que l’eau ; qu’enfin l’eau recèle l’espoir du monde futur. Ainsi périra par le feu cette création dont l’eau fut le principe. Es-tu surpris que des fleuves sortent incessamment d’un élément qui a tenu lieu de tout, et duquel tout est sorti ? Quand les éléments furent séparés les uns des autres, l’eau fut réduite au quart de l’univers, et placée de manière à suffire à l’écoulement des fleuves, des ruisseaux, des fontaines. Mais voici une idée absurde de ce même Thalès. Il dit que la terre est soutenue par l'eau sur laquelle elle vogue