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LIVRE II.

chaleur, il devient concret, immobile et solide. L’air passe à l’état d’eau, et jamais il n’existe sans ce liquide. La terre se convertit en air et en eau ; mais elle n’est jamais sans eau, non plus que sans air. Et ces transmutations sont d’autant plus faciles, que l'élément à naître est déjà mêlé au premier. Ainsi la terre contient de l’eau, et la fait sortir de son sein ; elle renferme de l’air. l’ombre et le froid de l’hiver le condensent et en font de l’eau. Elle-même est liquéfiable ; elle met en œuvre ses propres ressources4.

XI. « Mais, diras-tu, si les causes d’où proviennent les fleuves et les sources sont permanentes, pourquoi tarissent-ils parfois ? Pourquoi se montrent-ils dans des endroits où l’on n’en voyait point ? » Souvent un tremblement de terre dérange leurs directions ; un éboulement leur coupe le passage, les force, en les retenant, à se chercher une issue nouvelle par une irruption sur un point quelconque ; ou bien la secousse même du sol les déplace. Il arrive souvent en ce pays-ci que les rivières, qui ne retrouvent plus leur lit, refluent d’abord, puis se frayent une route pour remplacer celle qu’elles ont perdue. Ce phénomène, dit, Théophraste, eut lieu au mont Coryque, où, après un tremblement de terre, on vit jaillir des sources jusqu’alors inconnues. On fait encore intervenir d’autres accidents d’où naîtraient des sources, ou qui détourneraient et changeraient leur cours. Le mont Hémus était jadis dépourvu d’eau ; mais une peuplade gauloise, assiégée par Cassandre, s’étant retranchée sur cette montagne dont elle abattit les forêts, on découvrit de l’eau en abondance, que, sans doute, les arbres absorbaient pour s’en alimenter. Ces arbres coupés, l’eau qu’ils ne consommaient plus parut à la surface du sol. Le même auteur dit qu’un fait pareil arriva aux environs de Magnésie. Mais, n’en déplaise à Théophraste, j’oserai dire que la chose n’est pas vraisemblable ; car les lieux les plus riches en eaux sont communément les plus ombragés ; ce qui n’arriverait pas, si les arbres absorbaient les eaux : or, ceux-ci ne cherchent pas leurs aliments si bas, tandis que la source des fleuves est dans des couches intérieures, trop profondes pour que les racines des arbres y puissent atteindre. Ensuite, les arbres coupés n’en ont que plus besoin d’eau ; ils pompent l’humidité non-seulement pour vivre, mais pour prendre une nouvelle croissance. Théophraste rapporte encore qu’aux environs d’Arcadia, ville de Crète qui n’existe plus, les lacs et les sources tarirent, parce qu’on cessa de cultiver le territoire après la destruction de la