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LIVRE II.

ces deux contrées, l’Italie, abondent en ruisseaux et en fleuves, parce que le climat dont elles jouissent est humide, et que l’été même n’y est pas privé de pluies.

VII. Tu vois qu’à cette opinion on peut objecter bien des choses. D’abord, en ma qualité de vigneron qui sait son métier, je puis t’assurer que jamais pluie, si grande qu’elle soit, ne mouille la terre à plus de dix pieds de profondeur. Toute l’eau est bue par la première couche, et ne descend point plus bas. Comment pourrait-elle alimenter des fleuves, cette pluie qui n’imbibe que la superficie du sol ? Elle est en majeure partie entraînée dans la mer par le canal des fleuves. Bien peu en est absorbé par la terre, qui ne la garde pas : car ou la terre est altérée, et elle boit tout ce qui tombe ; ou elle est saturée, et elle ne reçoit pas au delà de ce qu’elle désirait. C’est pourquoi les premières pluies ne font pas grossir les rivières, la terre, trop sèche, attirant tout à elle. Comment d’ailleurs expliquer ces eaux qui s’échappent en fleuves des rochers et des montagnes ? Quel tribut reçoivent-elles des pluies qui coulent le long des rocs dépouillés, sans trouver de terre qui les retienne ? Ajoute que des puits creusés dans les lieux les plus secs, à deux ou trois cents pieds, rencontrent d’abondantes veines d’eau à cette profondeur où la pluie ne pénètre point ; preuve que ce ne sont pas là des eaux tombées du ciel, ou des amas stagnants, mais ce qu’on appelle vulgairement des eaux vives. L’opinion que je combats se réfute aussi par cette réflexion, que des sources jaillissent du sommet de certaines montagnes, sources évidemment poussées par une force d’ascension, ou nées sur le lieu même, puisque toute eau pluviale court de haut en bas.

VIII. Selon d’autres, de même qu’à la surface du globe s’étendent de vastes marais, de grands lacs navigables, et que d’immenses espaces sont envahis par les mers qui couvrent tous les lieux bas ; de même l’intérieur de la terre est rempli d’eaux douces, stagnantes, comme nous voyons l’Océan et ses golfes, mais relativement plus considérables, les cavités souterraines étant plus profondes que celles de la mer. De ces inépuisables masses sortent nos grands cours d’eau. Doit-on s’étonner que la terre ne se sente pas appauvrie par ces fleuves, quand la mer ne s’en trouve pas enrichie ?

IX. D’autres adoptent cette explication-ci ; ils disent : « L’intérieur de la terre renferme des cavités profondes et beaucoup d’air qui, nécessairement, se refroidit dans l’ombre épaisse qui le comprime ; cet air inerte et sans mouvement, ne pouvant