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QUESTIONS NATURELLES.

branlable branlable aux revers, repousse les voluptés, et même les combatte à outrance ; qu’elle ne recherche ni ne fuie les périls ; qu’elle sache, sans l’attendre, se faire son destin ; qu’elle marche au-devant des biens comme des maux, sans trouble, sans anxiété, et que ni l’orageuse ni la riante fortune ne la déconcerte ! Ce qu’il y a de grand, c’est de fermer son cœur aux mauvaises pensées, de lever au ciel des mains pures ; c’est, au lieu d’aspirer à des biens qui, pour aller jusqu’à toi, doivent être donnés ou perdus par d’autres, de prétendre au seul trésor que nul ne te disputera, la sagesse ; tous les autres si fort prisés des mortels, regarde-les, si le hasard te les apporte, comme devant s’en aller par où ils sont venus ! Ce qu’il y a de grand, c’est de mettre fièrement sous ses pieds ce qui vient du hasard ; de se souvenir qu’on est homme ; si l’on est heureux, de se dire qu’on ne le sera pas longtemps ; malheureux, qu’on ne l’est plus dès qu’on croit ne pas l’être ! Ce qu’il y a de grand, c’est d’avoir son âme sur le bord des lèvres et prête à partir ; on est libre alors non par droit de cité, mais par droit de nature. Est libre quiconque n’est plus esclave de soi, quiconque a fui cette servitude de tout instant, laquelle n’admet point de résistance, et pèse sur nous nuit et jour, sans trêve ni relâche. Qui est esclave de soi subit le plus rude de tous les jougs ; mais le secouer est facile : qu’on ne se fasse plus à soi-même mille demandes ; qu’on ne se paye plus de son propre mérite ; qu’on se représente et sa condition d’homme et son âge, fût-on des plus jeunes ; qu’on se dise : « Pourquoi tant de folies, tant de fatigues, tant de sueurs ? Pourquoi bouleverser le sol, assiéger le forum ? Il me faut si peu, et pour si peu de temps3 ! « Voilà à quoi nous aidera l’étude de la nature qui, nous arrachant d’abord aux objets indignes de nous, donne ensuite à l’âme cette grandeur, cette élévation dont elle a besoin, et la soustrait à l’empire du corps. Et puis, l’intelligence exercée à sonder les mystères des choses ne dégénérera pas dans des questions plus simples. Or, quoi de plus simple que ces règles salutaires où l’homme puise des armes contre sa perversité, contre sa folie, qu’il condamne et ne peut quitter ?

I. Parlons maintenant des eaux, et cnerchons comment elles se forment. Soit, comme le dit Ovide,

Qu’une source limpide en flots d’argent s’épanche[1] ;

  1. Metam., III, 407.