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QUESTIONS NATURELLES.

ne doit pas frapper toutes les fautes ; qu’il y a des foudres pour détruire, d’autres pour toucher et effleurer, d’autres pour avertir par leur apparition.

XLV. Ils n’ont pas même cru que le Jupiter adoré par nous au Capitole et dans les autres temples, lançât la foudre de sa main. Ils reconnaissent le même Jupiter que nous, le gardien et le modérateur de l’univers dont il est l’âme et l’esprit, le maître et l’architecte de cette création, celui auquel tout nom peut convenir. Veux-tu l’appeler Destin ? Tu ne te tromperas pas ; de lui procèdent tous les événements ; il est la cause des causes. Le nommeras-tu Providence ? Tu auras encore raison. C’est sa sagesse qui pourvoit aux besoins de ce monde, à ce que rien n’en trouble la marche, à ce qu’il accomplisse sa tâche ordonnée. Aimes-tu mieux l’appeler la Nature ? Le mot sera juste ; c’est de lui que tout a pris naissance ; nous vivons de son souffle. Veux-tu voir en lui le monde lui-même7 ? Tu n’auras pas tort ; il est tout ce que tu vois8, tout entier dans chacune de ses parties, et se soutenant par sa propre puissance9. Voilà ce que pensaient, comme nous, les Étrusques ; et s’ils disaient que la foudre nous vient de Jupiter, c’est que rien ne se fait sans lui.

XLVI. Mais pourquoi Jupiter épargne-t-il parfois le coupable, pour frapper l’innocent ? Tu me jettes là dans une question bien vaste, qui veut qu’on la traite en son temps et en son lieu. Je réponds seulement que la foudre ne part point de la main de Jupiter, mais qu’il a tout disposé de telle sorte que les choses même qui ne se font point par lui, ne se font pourtant pas sans raison, et que cette raison vient de lui. Elles n’ont d’action que celle qu’il a permise ; lors même que les faits s’accomplissent sans lui, il a voulu qu’ils s’accomplissent. Il ne préside pas aux détails ; mais il a donné le signal, l’énergie et l’impulsion à l’ensemble.

XLVII. Je n’adopte pas la classification de ceux qui divisent les foudres en perpétuelles, déterminées ou prorogatives. Les perpétuelles sont celles dont les pronostics concernent toute une existence, et, au lieu d’annoncer un fait partiel, embrassent la chaîne entière des événements qui se succéderont dans la vie. Telles sont les foudres qui apparaissent le jour où l’on entre en possession d’un patrimoine, où un homme ou une ville vient à changer d’état. Les foudres déterminées ne se rapportent qu’à un jour marqué. Les prorogatives sont celles dont on peut reculer, mais non conjurer ou détruire les effets menaçants.

XLVIII. Je vais dire pourquoi cette division ne me satisfait