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QUESTIONS NATURELLES.

humide et plein d’eau toute formée, rien n’empêcherait que le feu sortît de l’humide et même, chose plus étonnante, du principe de l’humide, de l’eau. Des philosophes ont soutenu que rien ne peut se convertir en feu sans s’être d’abord converti en eau. Il se peut donc qu’un nuage, sans que l’eau qu’il contient change de nature, lance du feu de quelqu’une de ses parties, comme le bois qui souvent brûle d’un côté et sue de l’autre. Je ne nie pas que les deux éléments soient incompatibles et que l'un détruise l’autre ; mais où le feu est plus fort que l’eau, il l’emporte, comme aussi quand c’est l’eau qui relativement surabonde, le feu demeure sans effet. Voilà pourquoi le bois vert ne brûle point. Ce qui importe, c’est donc la quantité de l'eau qui, trop faible, ne résiste pas et n’empêche point l’action du feu. Comment n’en serait-il pas ainsi ? Du temps de nos pères, au rapport de Posidonius, tandis qu’une île surgissait dans la mer Egée, la mer écumait pendant le jour, et de la fumée s’élevait de ses profondeurs ; ce qui trahissait l’existence d’un feu qui ne se montra pas continu, mais qui éclatait par intervalles comme la foudre, chaque fois que l’ardeur du foyer sous-marin soulevait le poids des eaux qui le couvraient. Ensuite il vomit des pierres, des rocs entiers, les uns intacts et chassés par l’air avant leur calcination, les autres rongés et réduits à la légèreté de la pierre ponce ; enfin la crête d’une montagne brûlée parut au-dessus de la mer. Peu à peu sa hauteur s’accrut, et ce rocher s’agrandit au point de former une île. De notre temps, sous le consultat de Valérius Asiaticus, le même fait s’est renouvelé. Pourquoi rapporté-je ces exemples ? Pour faire voir que ni la mer n’a pu éteindre le feu sur lequel elle passait, ni cette énorme masse d’eau l’empêcher de se faire jour. C’est de deux cents brasses de profondeur, au dire d’Asclépiodote, disciple de Posidonius, que, fendant l’obstacle des flots, le feu a fait éruption. Si cet immense volume d’eau n’a pu étouffer une colonne de flamme qui jaillissait du fond de la mer, combien moins la subtile vapeur, les gouttelettes des nuées éteindraient-elles le feu dans l’atmosphère ? Elles apportent si peu d’empêchement à la formation des feux, qu’on ne voit luire la foudre que dans un ciel chargé d’eau ; elle n’a pas lieu par un temps serein. Un jour pur n’a pas à la redouter, non plus que les nuits qui ne sont pas obscurcies de nuages. « Mais quoi ? Dans un ciel illuminé d’étoiles, et par la nuit la plus calme, ne voit-on pas quelquefois des éclairs ?» Oui ; mais sois sûr qu’un nuage se trouve au point d’où part l’éclair, nuage que la sphéricité du globe ne