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LETTRE XVIII.

Les Saturnales à Rome. – Frugalité du sage.

Nous voici en décembre, où plus que jamais Rome sue à se divertir ; le plaisir sans frein est de droit public ; tout retentit des vastes apprêts de la fête, comme si rien ne distinguait les Saturnales des jours de travail. La différence a si bien disparu que, ce me semble, on n’a pas eu tort de dire : « Autrefois décembre durait un mois, à présent c’est toute l’année. » Si je t’avais ici, je causerais volontiers avec toi sur ce qu’à ton sens on doit faire : faut-il ne rien changer à nos habitudes de chaque jour ou, pour ne pas paraître faire opposition à l’usage général, faut-il égayer un peu nos soupers, et dépouiller la toge ? Car, ce qui n’avait lieu jadis qu’au temps de troubles et de calamité publique, maintenant pour le plaisir, pour des jours de fête, le costume romain est mis bas. Si je te connais bien, tu ferais le rôle d’arbitre et ne nous voudrais ni tout à fait pareils à cette foule en bonnet phrygien ; ni de tous points dissemblables ; à moins peut-être qu’en ces jours plus que jamais il ne faille commander à son âme de s’abstenir seule du plaisir alors que tout un peuple s’y vautre. Elle obtient la plus sûre preuve de sa fermeté, lorsqu’elle ne se porte ni d’elle-même ni par entraînement vers les séductions attirantes de la volupté. S’il y a bien plus de force morale, au milieu d’un peuple ivre et vomissant, à garder sa faim et sa soif, il y a plus de mesure à ne se point isoler ni singulariser, sans toutefois se mêler à la foule, et à faire les mêmes choses, non de la même manière. On peut en effet célébrer un jour de fête sans orgie.

Au reste, je me plais tellement à éprouver la fermeté de ton âme que, comme de grands hommes l’ont prescrit, à mon tour je te prescrirai d’avoir de temps à autre certains jours où te bornant à la nourriture la plus modique et la plus commune, à un vêtement rude et grossier, tu puisses dire : « Voilà donc ce qui me faisait peur ! » Qu’au temps de la sécurité l’âme se prépare aux crises difficiles ; qu’elle s’aguerrisse contre