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QUESTIONS NATURELLES.

parce que chaque fragment renvoie une figure distincte. On a eu beau joindre et adapter ensemble ces fragments, ils n’en reproduisent pas moins à part leurs tableaux, et font d’un homme une multitude. Mais ce n’est pas un entassement confus ; les figures sont réparties une à une entre les diverses facettes. Or, l’arc-en-ciel est un cercle unique, continu ; il n’offre en tout qu’une seule figure. Mais, dira-t-on, l’eau qui jaillit d’un tuyau rompu, ou sous les coups de la rame, ne présente-elle pas quelque chose de pareil aux couleurs de l’arc-en-ciel ? Cela est vrai ; mais non par le motif qu’on prétend faire admettre, à savoir que chaque goutte reçoit l’image du soleil. Elles tombent trop vite pour pouvoir s’empreindre de cette image. Il faut un objet arrêté, pour saisir la forme à reproduire. Qu’arrive-t-il donc ? Elles retracent la couleur, non l’image. D’ailleurs, comme l’empereur Néron le dit fort élégamment :

Le cou des pigeons de Cypris
Brille en se balançant des couleurs de l’iris :


de même le cou du paon, à la moindre inflexion, les reflète. Faudra-t-il donc appeler miroirs ces sortes de plumes auxquelles chaque mouvement donne de nouvelles nuances ? Eh bien ! les nuages, par leur nature, diffèrent autant des miroirs que les volatiles dont je parle, que les caméléons et autres animaux qui changent de couleur, soit d’eux-mêmes, quand la colère ou le désir les enflamme, et que l’humeur, répandue sous la peau, la couvre de taches ; soit par la direction de la lumière, qui modifie la couleur en les frappant de face ou obliquement. En quoi des nuages ressemblent-ils à des miroirs, ceux-ci n’étant pas diaphanes, et ceux-là laissant passer la lumière ? Les miroirs sont denses et compactes, les nuages, vaporeux ; les miroirs sont formés tout entiers de la même matière ; les nuages, d’éléments hétérogènes assemblés au hasard, et par là même sans accord et sans cohésion durable. Et puis, nous voyons au lever du soleil une partie du ciel rougir ; nous voyons des nuages parfois couleur de feu. Qui donc empêche, s’ils doivent cette couleur unique à l’apparition du soleil, qu’ils ne lui en empruntent pareillement plusieurs, bien qu’ils n’aient pas la propriété d’un miroir ? Tout à l’heure, dira-t-on, un de vos arguments pour prouver que toujours l’arc-en-ciel surgit en face du soleil, était qu’un miroir même ne réfléchit que les objets qu’il a devant lui ; ce principe est aussi le nôtre. Car comme il faut opposer au miroir ce dont on veut qu’il reçoive l’image, de même, pour