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LIVRE I.

détruit. Or, rien n’est aussi vite renvoyé qu’une image l’est par un miroir ; en effet, le miroir ne fait pas l’objet, il le montre. Artemidore de Paros détermine en outre quelle forme doit avoir le nuage pour reproduire ainsi l’image du soleil. « Si vous faites, dit-il, un miroir concave d’une boule de verre coupée en deux, en vous tenant hors du foyer, vous y verrez tous ceux qui seront à vos côtés, plus près de vous que le miroir. Même chose arrive quand nous voyons par le flanc un nuage rond et concave : l’image du soleil s’en détache, se rapproche et se tourne vers nous. La couleur de feu vient donc du soleil, et celle d’azur du nuage ; le mélange de l’une et de l’autre produit toutes les autres. »

V. À ces raisonnements on répond : il y a sur les miroirs deux opinions ; on n’y voit, d’après les uns, que des simulacres, c’est-à-dire les figures de nos corps, émanées et distinctes de ces mêmes corps ; selon d’autres, l’image n’est pas dans le miroir, ce sont les corps mêmes qu’on voit par la réflexion du rayon visuel qui revient sur lui-même. Or, ici l'essentiel n’est pas de savoir comment nous voyons ce que nous voyons, mais comment l’image renvoyée devrait être semblable à l’objet, comme elle l’est dans un miroir. Qu’y a-t-il de si peu ressemblant que le soleil et un arc où ni la couleur, ni la figure, ni la grandeur du soleil ne sont représentées ? L’arc est plus long, plus large, la partie rayonnante est d’un rouge plus foncé que le soleil, et le reste présente des couleurs tout autres que celle de l’astre. Et pour prétendre que l’air est un miroir, il faut le donner comme surface aussi lisse, aussi plane, aussi brillante. Mais aucun nuage ne ressemble à un miroir ; nous traversons souvent les nues, et n’y voyons pas notre image. Quand on gravit le sommet des montagnes, on a sous les yeux des nuages, et cependant on ne peut s’y voir. Que chaque goutte d’eau soit un miroir, je l’accorde ; mais je nie que le nuage soit composé de gouttes. Il renferme bien de quoi les produire, mais elles n’y sont pas toutes produites ; ce n’est point la pluie qui compose le nuage, c’est la matière de ce qui sera pluie. Je vous concéderai même qu’il y a dans un nuage d’innombrables gouttes, et qu’elles réfléchissent quelque objet ; mais toutes ne réfléchissent pas le même, chacune a le sien. Rapprochez plusieurs miroirs, ils ne confondront pas leurs reflets en un seul ; mais chaque miroir partiel renfermera en soi l’image de l’objet opposé Souvent, d’une quantité de petits miroirs, on en forme un seul : placez un homme vis-à-vis, il vous semble voir tout un peuple,