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LIVRE I.

versalement. Ce qui prouve avec quelle force ils sont lancés, c’est l’obliquité de leur course, et leur extrême vitesse ; on voit qu’il y a là, non un mouvement propre, mais une impulsion étrangère. Ils sont aussi nombreux que variés dans leurs formes. Il y en a une espèce qu’Aristote appelle Chèvre. Si tu m’en demandes la raison, explique-moi d’abord pourquoi on les nomme aussi Boucs. Si, au contraire, ce qui est plus expéditif, nous convenons entre nous de nous épargner ces questions sur le dire des auteurs, nous gagnerons plus à rechercher la cause du phénomène qu’à nous étonner de ce qu’Aristote appelle Chèvre un globe de feu. Telle fut la forme de celui qui, pendant la guerre de Paul Emile contre Persée, apparut grand comme le disque de la lune. Nous-mêmes avons vu plus d’une fois des flammes qui offraient l’aspect d’un ballon énorme, mais qui se dissipaient dans leur course. Vers le temps où Auguste quitta la vie, pareil prodige se renouvela ; nous le revîmes lors de la catastrophe de Séjan, et le trépas de Germanicus fut annoncé par un semblable présage. « Quoi ! me diras-tu, serais-tu enfoncé dans l’erreur au point de croire que les dieux envoient des signes avant-coureurs de la mort, et qu’il soit rien d’assez grand sur la terre pour que la chute en retentisse jusqu’au ciel ? » Je traiterai ce point dans un autre temps. Nous verrons si les évéments se déroulent tous dans un ordre fatal ; s’ils sont tellement liés les uns aux autres, que ce qui précède devienne la cause ou le présage de ce qui suit. Nous verrons si les dieux prennent souci des choses humaines, si la série même des causes révèle par des signes certains quels seront les effets. En attendant, j’estime que les feux dont nous parlons naissent d’une violente compression de l’air qui s’est rejeté d’un côté, mais sans faire retraite, et en réagissant sur lui-même. Cette réaction fait jaillir des poutres, des globes, des torches, des incendies. Si la collision est plus faible, si l’air n’est, pour ainsi dire, qu’effleuré, l’éruption lumineuse est moindre,

Et l’étoile, en filant, traîne sa chevelure[1].


Alors de minces étincelles tracent dans le ciel un sillon peu perceptible et prolongé. Aussi n’y a-t-il point de nuit qui n’offre ce spectacle : car il n’est pas besoin pour cela d’une grande commotion de l’air. Pour tout dire, en un mot, ces feux ont la même cause que les foudres, mais moins énergique :

  1. Éneid., V, 628.