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même capacité. Les traditions de l’art sont faillibles et inégalement réparties ; il n’y a d’uniforme que les enseignements de la nature. Elle apprend surtout aux animaux à se défendre, à bien connaître leurs ressources18 : aussi cette instruction commence-t-elle pour eux aussitôt que la vie. Et ce n’est pas merveille s’ils naissent pourvus d’une faculté sans laquelle ils naîtraient en vain. C’est le premier moyen que la nature leur donne pour s’harmonier constamment avec eux-mêmes et pour s’aimer. Ils n’auraient pu se conserver, s’ils ne l’avaient voulu. Cela seul n’eût de rien servi ; mais sans cela rien ne servait. Au reste, tu ne verras aucun animal faire bon marché de son être, ou même le négliger en rien. Le plus stupide et le plus brute, insensible pour tout le reste, a pour se conserver mille expédients. Tu verras les créatures les plus inutiles aux autres ne se manquer jamais à elles-mêmes.


Lettre CXXII.

Contre ceux qui font de la nuit le jour. Le poëte Montanus.

Les jours perdent sensiblement et rétrogradent devant les nuits, de manière toutefois à laisser un assez honnête espace de temps à qui se lèverait, comme on dit, avec l’aurore, pressé par de plus nobles devoirs que l’homme qui attend ses premières lueurs pour aller faire sa cour. Honte à celui qui sommeille lâchement quand le soleil est déjà haut, et dont la veille commence à midi ! Et encore, pour beaucoup, il n’est pas jour à cette heure-là. Certaines gens font du jour la nuit, et réciproquement : appesantis par l’orgie de la veille, leurs yeux ne commencent à s’ouvrir que quand l’ombre descend sur la terre. Tels que ces peuples placés, dit-on, par la nature sur un point du globe diamétralement opposé au nôtre, et dont parle Virgile :

Quand les coursiers du jour nous soufflent la lumière,
Là-bas Vesper s’allume et rouvre sa carrière[1],


les hommes que je cite contrastent avec tous, non géographi-

  1. Géorg., I, 259. Trad. de Delille pour le premier vers.