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volent bien au-dessus de leur tête. Aucun animal n’entre dans la vie sans la crainte de la mort.

« Mais, dit-on, d’où l’animal naissant tient-il l’intelligence de ce qui le conserve ou le détruit ? » D’abord, la question est de savoir s’il l’a, et non comment il peut l’avoir. Or il l’a manifestement, vu que, l’intelligence admise, il ne ferait pas mieux. D’où vient que la poule, tranquille en présence du paon ou de l’oie, fuit l’épervier, bien plus petit qu’elle, encore qu’elle n’en ait jamais vu ? D’où vient que les poussins redoutent le chat, et jamais le chien15 ? Évidemment ils ont de ce qui peut leur nuire une science innée, indépendante de l’expérience16, puisque avant d’avoir pu l’éprouver ils se gardent du mal ? Et ne crois pas que le hasard y fasse rien : ils ne craignent que ce qu’ils doivent craindre, et jamais ne perdent cet instinct de vigilance et de précaution. C’est toujours de la même manière qu’ils fuient les mêmes périls. Ajoute qu’ils ne deviennent pas plus timides avec l’âge : ce qui montre qu’ils ne font rien pour l’avoir appris, mais par l’amour naturel de leur conservation. Les leçons de l’expérience sont lentes et varient selon les individus : celles de la nature sont égales pour tous, et immédiates.

Si pourtant tu l’exiges, je te dirai comment tout animal cherche à connaître ce qui lui est nuisible. Il sent qu’il est fait de chair ; et sentant par suite ce qui peut couper, brûler ou écraser cette chair, quelles sont les races armées contre lui, tout cela lui apparaît comme antipathique et hostile. Car ce sont choses indivisibles que le désir de la conservation, la recherche du bien-être et l’horreur de ce qui blesse. L’amour de ce qui doit nous servir et l’antipathie des contraires sont dans la nature même ; aucune étude ne nous suggère cela, et c’est sans réflexion que s’exécutent les prescriptions de la nature. Ne vois-tu pas quel art déploient les abeilles dans l’architecture de leurs domiciles ? quel accord dans l’accomplissement de leurs tâches respectives ? Ne vois-tu pas comme ces tissus de l’araignée sont inimitables à toute industrie humaine ? Quel travail pour combiner tous les fils dont partie, jetée en ligne droite, sert de support, et partie se roule en cercle à mailles serrées au centre, qui de là vont s’élargissant, de façon que l’insecte contre lequel s’ourdit la trame homicide demeure empêtré comme dans un filet ! Cette science, la nature la donne, elle ne s’apprend pas. De là vient qu’un animal n’est pas plus habile qu’un autre de son espèce17. Tu verras les toiles des araignées se ressembler toutes, et les cellules de toutes les ruches avoir la