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lents sont ceux que nécessite la contrainte : l’agilité est le propre de la spontanéité. Loin que ce soit la crainte de souffrir qui les fasse se mouvoir, ils se portent à leurs mouvements naturels en dépit même de la souffrance. Ainsi l’enfant qui tâche de rester debout, qui s’étudie à se tenir sur ses jambes, ne peut d’abord essayer ses forces qu’il ne tombe, pour se relever chaque fois en pleurant, tant qu’il n’a pas fini le douloureux apprentissage que demande la nature. Renverse certains animaux dont le dos est d’une substance dure : ils se tournent, ils dressent leurs pattes qu’ils portent de côté et d’autre, jusqu’à ce qu’on les remette en leur premier état. Une tortue renversée ne sent point de douleur ; mais elle est inquiète, elle regrette sa position naturelle, et ne cesse de faire effort, de s’agiter, que quand elle se retrouve sur ses pattes. Donc tout ce qui respire a la conscience de sa constitution, d’où lui vient ce prompt et facile usage de ses membres ; et la plus forte preuve que cette notion date de la naissance même, c’est que nul être vivant n’ignore l’emploi de ses facultés.

On répondra encore : « La constitution, comme vous dites, vous autres stoïciens, est une certaine disposition dominante de l’âme à l’égard du corps. Cette définition embarrassée et subtile, que vous-mêmes avez peine à formuler, comment un enfant la conçoit-il ? Il faut que tous les animaux naissent dialecticiens pour comprendre une chose que trouvent obscure la plupart des esprits les plus cultivés. » L’objection serait fondée, si je prétendais que notre définition est comprise par les animaux, et non leur constitution même. La nature nous dit ce que nous sommes bien mieux que ne fait la parole. Ainsi l’enfant ignore ce que c’est que constitution, mais il connaît très-bien la sienne ; il ne sait ce que c’est qu’un être animé, mais il sent qu’il est animé. En outre, il a de sa constitution même une idée grossière, sommaire et confuse, comme nous savons que nous possédons une âme, sans en connaître la nature, le siège, la forme ni l’origine. Tout comme la conscience de son âme arrive à l’homme, bien qu’il ignore ce qu’est cette âme et où elle réside ; de même aux animaux se manifeste la conscience de leur constitution. Il faut bien qu’ils aient le sentiment de ce par quoi ils sentent tout le reste, le sentiment de ce qui les dirige et leur fait la loi. Il n’est personne qui ne conçoive qu’il existe en lui quelque chose dont il reçoit ses impressions, sans savoir ce que c’est ; ce mobile est en lui, il le sait : quel est-il ? d’où vient-il ? il