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LETTRES DE SÉNÈQUE

pas à lui qu’il ne soit le plus obséquieux des esclaves ; souvent gonflé jusqu’à se rendre haïssable, il va s’aplatir et se faire plus petit, plus humble que ceux qui gisent vraiment dans la boue ; tour à tour il sème l’or et le ravit. Ainsi se trahit surtout l’absence de jugement : on paraît sous telle forme, puis sous telle autre ; et, chose à mon gré la plus pitoyable du monde, on n’est jamais soi. C’est une grande tâche, crois-moi, que de soutenir toujours le même personnage. Or, excepté le sage, nul ne le fait. Nous autres, nous ne savons encore que changer : tu nous verras par moments économes, sérieux ; par moments prodigues et frivoles. C’est à toute heure travestissement nouveau, et l’opposé de ce que nous quittons11. Gagne donc sur toi de te maintenir jusqu’à la fin tel que tu as résolu d’être. Fais qu’on puisse te louer, ou du moins te reconnaître. Il y a tel homme, qu’on a vu la veille, et dont on peut dire : « Qui est-il ? » tant est grande la métamorphose !


Lettre CXXI.

Que tout animal a la conscience de sa constitution.

Tu vas me faire un procès, je le vois, si je t’expose la subtile question qui aujourd’hui m’a retenu assez longtemps ; et derechef tu t’écrieras : « Qu’y a-t-il là pour les mœurs ? » Récrie-toi, soit : moi, je t’opposerai en première ligne mes garants, contre lesquels tu plaideras, Posidonius, Archidème[1] : ils accepteront le débat ; je parlerai après eux.

Il n’est pas vrai que tout ce qui tient à la morale forme les bonnes mœurs. Telle chose concerne la nourriture de l’homme ; telle autre ses exercices, telle autre son vêtement, son instruction ou son plaisir : mais toutes se rapportent à l’homme, bien que toutes ne le rendent pas meilleur. Quant aux mœurs, il est diverses manières d’influer sur elles. Telle méthode les corrige et les règle ; telle autre scrute leur nature et leur origine. Quand je recherche pourquoi la nature a produit l’homme, pourquoi elle l’a mis au-dessus des autres animaux, crois-tu que je m’é-

  1. Deux philosophes stoïciens.