Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’appelle à soi. » D’autres aussitôt de répondre : « Comment ! même s’il invite l’homme à sa perte ? » Tu sais : il y a bien des maux qui séduisent. Le vrai et le vraisemblable diffèrent entre eux. Ainsi, le bien se joint au vrai ; car il n’est de bien que le vrai, mais ce qui invite, ce qui allèche, n’est que vraisemblable : il dérobe, il sollicite, il entraîne. Voici une autre définition : « Le bien est une chose qui excite l’appétit d’elle-même, ou le mouvement et la tendance de l’âme vers elle. » À quoi on réplique également que ce mouvement de l’âme est excité par beaucoup de choses dont la poursuite perd le poursuivant. Une meilleure définition est celle-ci : « Le bien est ce qui attire vers soi le mouvement de l’âme conformément à la nature : celui-là seul est digne d’être recherché. » Dès qu’il mérite nos recherches, il est honnête, chose à rechercher par excellence. Ceci m’avertit d’expliquer en quoi diffèrent le bien et l’honnête. Ils ont quelque chose entre eux de mixte et d’indivisible ; et il ne peut exister de bien qui ne renferme de l’honnête, comme à son tour l’honnête est toujours bien. En quoi donc diffèrent-ils ? L’honnête est le bien parfait, le complément de la vie heureuse, qui change en biens tout ce qu’il touche. Expliquons ma pensée : Il y a des choses qui ne sont ni biens ni maux, comme le métier des armes, les ambassades, les magistratures. Ces fonctions, honnêtement remplies, arrivent à être des biens, et de douteuses deviennent bonnes. Le bien a lieu par l’alliance de l’honnête : l’honnête est bien de sa nature. Le bien découle de l’honnête ; l’honnête existe par lui-même. Ce qui est bien a pu être mal ; ce qui est honnête n’a pu être que bien.

On a encore défini le bien « ce qui est conforme à la nature. » Or ici prête-moi ton attention : Ce qui est bien est selon la nature ; il ne s’ensuit pas que tout ce qui est selon la nature soit bien. Beaucoup de choses, conformes à cette nature, sont de si mince importance que le nom de bien ne leur convient pas. Elles sont trop futiles, trop dignes de dédain : or jamais bien, même le moindre, n’est à dédaigner. N’est-il encore qu’en germe, ce n’est pas un bien ; dès qu’il commence à être un bien, il n’est plus petit. À quoi le bien se reconnaît-il ? S’il est par excellence selon la nature. « Vous avouez, dira-t-on, que ce qui est bien est selon la nature ; voilà son caractère, et vous avouez aussi qu’il est des choses conformes à la nature qui ne sont pas des biens. Comment donc l’un est-il bien, les autres ne l’étant pas ? Comment prend-il un caractère diffé-