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sera à la tempérance en toutes choses comme de songer souvent que la vie est courte, et de plus incertaine. Quoi que tu fasses, pense à la mort.


Lettre CXV.

Que le discours est le miroir de l’âme. Beauté de la vertu. Sur l’avarice.

Ne te tourmente pas trop du choix et de l’arrangement des mots, Lucilius, non : j’ai de plus graves soins à t’imposer. Songe à la substance, et point à la forme, moins à écrire même qu’à sentir ce que tu écris, et à le sentir de manière à mieux te l’approprier, à le marquer comme de ton sceau. Toute production que tu verras soucieusement travaillée et polie part, sois-en sûr, d’un esprit préoccupé de minuties. Qui pense noblement s’exprime avec plus de simplicité, d’aisance, et porte dans tous ses discours une mâle assurance plutôt que de l’apprêt. Tu connais nombre de jeunes gens à barbe et à chevelure luisantes, sortis tout entiers d’une boîte à toilette : n’espère d’eux rien de viril, rien de substantiel. Le style est la physionomie de l’âme : s’il est peigné coquettement, fardé, artificiel, il est clair que l’âme non plus n’est pas franche, et a quelque chose d’affecté. Des colifichets ne sont point la parure d’un homme39.

S’il nous était donné de voir à découvert le cœur de l’homme de bien, quel magnifique tableau, que de sainteté et de majesté calme éblouirait nos yeux ! D’un côté la justice et la tempérance, de l’autre la prudence et la force se prêtant un mutuel éclat ; puis la frugalité, la continence, la résignation, l’indulgence, l’affabilité et l’humanité, cette vertu, le croirait-on ? si rare chez l’homme, verseraient là toutes leurs splendeurs. Et combien la prévoyance, l’élégance des mœurs et, pour couronner le tout, la magnanimité la plus haute n’y ajouteraient-elles pas de noblesse et d’autorité imposante ! Merveilleux ensemble de grâce et de dignité, qui n’exciterait notre amour qu’en nous remplissant de vénération ! À l’aspect de cette auguste et radieuse figure sans parallèle visible ici-bas, ne reste-