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rapport n’est admissible. N’est pas homme tout ce qui est le fait de l’homme. On dit : « Qu’est-ce que la justice ? C’est l’âme disposée de certaine manière. Partant, si l’âme est animal, la justice l’est aussi. » Point du tout ! Cette justice est une manière d’être, une faculté de l’âme. Cette même âme se modifie sous diverses formes et n’est pas un autre animal chaque fois qu’elle fait autre chose ; et tout ce qui procède d’elle n’est point animal. Si la justice, si le courage, si les autres vertus sont animaux, cessent-elles par moments de l’être pour le redevenir, ou le sont-elles constamment ? Les vertus ne peuvent cesser d’être vertus. Il y aura donc un grand nombre, un nombre infini d’animaux qui habiteront cette âme ? « Non pas, me répond-on ; ils se rattachent à un seul, ils sont parties et membres d’un seul. » L’image que nous nous figurons de l’âme est donc comme celle de l’hydre aux cent têtes, dont chacune combat à part et a toute seule sa force malfaisante. Or aucune de ces têtes n’est un animal ; c’est une tête de l’hydre, et cette hydre constitue l’animal. Personne ne dira que, dans la Chimère, le lion ou le serpent fût un animal : ils en faisaient partie, mais les parties ne sont point des animaux. Pourquoi donc en conclure que la justice est animal ? Elle agit, dites-vous, elle est utile ; et ce qui agit, ce qui est utile a du mouvement ; or ce qui a du mouvement est animal. — Cela est très-vrai, si ce mouvement est spontané ; mais ici il est emprunté et vient de l’âme. Tout animal jusqu’à sa mort est ce qu’il a commencé d’être : l’homme jusque-là est homme ; le cheval, cheval ; le chien reste chien : ils ne sauraient se transformer en autre chose. La justice, c’est-à-dire l’âme disposée d’une certaine manière, est un animal ! Je le veux croire : le courage encore, ou l’âme modifiée d’une autre sorte, est un animal. Mais quelle est cette âme ? Celle qui tout à l’heure était justice ? Elle est concentrée dans le premier animal ; passer dans un autre lui est interdit. Il faut qu’elle reste jusqu’au bout où elle s’est d’abord établie. D’ailleurs une seule âme ne peut appartenir à deux animaux, encore moins à un grand nombre. Si la justice, le courage, la tempérance et les autres vertus sont autant d’animaux, comment n’auraient-ils qu’une âme pour tous ? Il faut que chacun ait la sienne, ou ce ne sont plus des animaux. Un seul corps ne peut être à plusieurs animaux, nos sophistes eux-mêmes l’avouent. Quel est le corps de la justice ? L’âme. Et celui du courage ? La même âme. Cependant le même corps ne peut renfermer deux animaux. « C’est, dit-on, la même âme qui revêt la forme