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À LUCILIUS

fondent sur moi. Choses ordinaires, que dis-je? inévitables, décrets du ciel plutôt qu'accidents.

Si tu veux en croire un ami qui te découvre avec franchise le fond de son cœur, dans tout ce qu'on appelle disgrâces et rigueurs voici ma règle : je n'obéis pas à Dieu, je m'unis à sa volonté[1] ; c'est par dévouement, non par nécessité, que je le suis. Quoi qu'il m'arrive , j'accepterai tout sans tristesse, sans changer de visage; jamais je ne payerai à contre-cœur mon tribut. Or tout ce qui cause nos gémissements, nos épouvantes, est tribut de la vie. Quant à en être exempt, Lucilius, ne l'espère, ne le demande pas. Un mal de vessie t'a ôté le repos; tes aliments t'ont paru amers, ton affaiblissement a été continu : allons plus loin, tu as craint pour tes jours. Eh! ne savais-tu pas que tu souhaitais tout cela en souhaitant la vieillesse ? Tout cela est, dans une longue vie, ce que sont dans une longue route la poussière, la boue et la pluie. « Mais je voulais vivre et n'éprouver aucune incommodité! » Un vœu si lâche n'est pas d'un homme. Prends comme tu voudras celui que je fais pour toi : c'est celui du courage autant que de l'amitié : fassent les dieux et les déesses que tu ne sois jamais l'enfant gâté de la Fortune! Demande-toi à toi-même, si quelque dieu te laissait le choix, lequel tu aimerais mieux de vivre dans les camps ou dans les tavernes. Eh bien, la vie, Lucilius, c'est la guerre 66. Ainsi ceux qui, toujours alertes, vont gravissant des rocs escarpés ou plongent dans d'affreux ravins, et qui tentent les expéditions les plus hasardeuses, sont les braves et l'élite du camp; mais ceux qu'une ignoble inertie, lorsque autour d'eux tout travaille, enchaîne à leur bien-être, sont les lâches qu'on laisse vivre par mépris.


LETTRE XCVII.

Du procès de Clodius. Force de la conscience.

Tu te trompes, cher Lucilius, si tu regardes comme un vice propre à notre siècle la soif du plaisir, l’abandon des bonnes

  1. Voir Lettre CVII, et De la vie heureuse, XV.