Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là son mépris des périls et des glaives. Ah ! sans doute, en admirant l’invincible constance du héros que n’ébranle pas la chute de sa patrie, je puis répéter :

Chaque muscle saillit sur ce mâle poitrail.


Il serait utile, non-seulement de peindre les hommes vertueux tels qu’ils ont coutume d’être, et d’esquisser leurs formes et leurs traits, mais de redire quels ils furent, mais d’exposer cette dernière et héroïque blessure de Caton par où s’exhalait l’âme de la liberté. Il faudrait montrer cette sagesse de Lælius et son union de frère avec Scipion ; ces beaux faits de l’autre Caton, tant dans la paix que dans la guerre, ces lits de bois de Tubéron65 dressés en public avec leurs peaux de boucs pour couvertures, et les vases d’argile servis aux convives devant le temple même de Jupiter. Qu’était-ce autre chose que diviniser la pauvreté dans le Capitole ? N’eussé-je de lui que ce fait pour l’associer aux Catons, le croirons-nous insuffisant ? C’était là plutôt une censure qu’un repas. Oh ! combien ils ignorent, les avides poursuivants de la gloire, ce qu’elle est et quelle route y mène ! Ce jour-là le peuple romain vit la vaisselle de bien des citoyens, il admira celle d’un seul homme. L’or et l’argent de tous les autres a été brisé et mille fois refondu ; l’argile de Tubéron durera autant que les siècles.


LETTRE XCVI.

Adhérer à la volonté de Dieu. La vie est une guerre.

Et tu t’indignes encore de quelque chose, et tu te plains, et ne comprends pas qu’il n’y a dans tout ceci d’autre mal que ton indignation et tes plaintes ! Si tu me demandes mon sentiment, je ne vois de malheureux pour l’homme de cœur que la croyance qu’il y aurait ici-bas quelque malheur pour lui. Je ne me souffrirai plus moi-même, du jour où quelque chose me deviendra insupportable. Je me porte mal ? C’est dans ma destinée. Mes esclaves sont morts, mes rentes compromises, ma maison écroulée, les pertes, les blessures, les tribulations, les craintes