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voit-on de mauvaises mœurs partout où les lois sont mauvaises. « Mais les lois n’influent pas sur tous ! » Ni la philosophie non plus : est-ce à dire qu’elle soit inutile et impuissante à former les âmes ? or la philosophie qu’est-elle, sinon la loi de la vie ? Mais admettons que les lois soient sans influence, il ne suit pas de là qu’il en soit de même de tout avertissement, ou il faudra le dire aussi des discours qui consolent, qui dissuadent, qui exhortent, de la réprimande et de l’éloge. Toutes ces choses sont des espèces d’avertissements, des moyens de faire arriver à la perfection morale.

Rien n’inspire mieux des sentiments honnêtes et ne rappelle mieux au droit chemin une âme flottante et encline à s’égarer, que la fréquentation des gens de bien. C’est un charme qui peu à peu s’insinue dans les cœurs ; et les voir souvent, les entendre souvent, agit avec autant de force que le précepte. Oui, j’aime à le dire, la simple rencontre du sage fait du bien ; et tout d’un grand homme, jusqu’à son silence, profite en quelque point[1]. Il ne m’est pas si aisé de dire comment on en devient meilleur, qu’il me l’est de sentir que je le suis devenu. « Il y a, dit Phédon, de menus insectes dont la morsure ne se sent point, tant le dard est imperceptible et nous trompe pour mieux nous blesser ; la tumeur indique une morsure, et sur la tumeur même nulle lésion ne paraît. Semblable chose arrive dans le commerce des sages ; on ne reconnaît ni quand, ni comment il profite ; on reconnaît qu’il a profité. » – Que prétends-tu conclure de là ? – Que les bons préceptes, si tu les médites souvent, te serviront autant que les bons exemples. Pythagore a dit « que notre âme devient tout autre, lorsque entrés dans un temple nous voyons de près les images des dieux et attendons la voix de quelque oracle[2]. »

Mais qui peut nier que certains préceptes ne frappent efficacement les esprits même les moins éclairés ? Tels sont ces axiomes si brefs, mais d’un grand poids :

Rien de trop.

Jamais un cœur avare a-t-il dit « C’est assez ? »

Attendez-vous à la pareille.


Ces mots-là portent coup, et nul n’est maître de douter ou de

  1. Allusion à Thraséas et à Sénèque lui-même devant Néron. Voy. de la Tranquilité de l'âme, III, et Lettre CVIII.
  2. Voy. Quest. natur., VII, 30.