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nissez les fausses opinions touchant les biens et les maux, et mettez les vraies à la place : les bons avis n’auront rien à faire. » Sans doute c’est un moyen d’établir l’harmonie de l’âme, mais ce n’est pas le seul. Car encore qu’on ait démontré par de bons arguments ce qui est bien, ce qui est mal, les préceptes n’en ont pas moins leur rôle : la prudence, la justice constituent des devoirs, et les devoirs se règlent par les préceptes. Et puis le jugement qu’on porte du bien et du mal se fortifie par l’exécution des devoirs à laquelle les préceptes conduisent. Car le conseil et l’action marchent d’accord, et l’un ne peut précéder l’autre sans en être suivi ; l’action vient en son lieu, d’où l’on voit que les préceptes la devancent. « Mais les préceptes sont infinis. » Cela est faux. Ils ne le sont pas sur les points principaux et nécessaires ; ils n’offrent alors que de légères variétés selon l’exigence des temps, des lieux, des personnes, et encore donne-t-on pour tout cela des préceptes généraux. « Jamais des préceptes généraux n’ont guéri la folie, ni même la méchanceté. » Il y a ici dissemblance. Car ôtez la folie, vous avez rendu la santé ; mais bannissez les fausses opinions, vous n’obtenez pas à l’instant l’intelligence claire des devoirs, et quand vous l’obtiendriez, les bons avis n’en fortifieront pas moins un jugement déjà droit sur les biens et sur les maux. Il est également faux que les préceptes ne profitent pas à l’insensé : car si tout seuls ils ne suffisent pas, ils aident du moins à la guérison : les menaces et les corrections ont souvent contenu l’insensé. Je parle de celui dont l’esprit est dérangé, non entièrement perdu.

« Mais les lois, pour nous porter au devoir, sont inefficaces : et que sont les lois, que des préceptes mêlés de menaces ? » D’abord ce qui ôte aux lois le pouvoir de persuader, c’est qu’elles menacent : les préceptes gagnent la volonté, mais ne la forcent point. Ensuite, les lois détournent du crime : les préceptes ne font qu’exhorter au devoir. Ajoute que les lois aussi contribuent aux bonnes mœurs, quand surtout elles instruisent et ne se bornent pas à commander. Sur ce point je suis d’autre avis que Posidonius, qui n’approuve pas que les lois de Platon soient accompagnées d’exposés de motifs44. « La loi, dit-il, doit être brève, pour être plus facilement retenue par les ignorants ; qu’elle soit comme une voix partie du ciel ; qu’elle ordonne et ne discute pas. Rien ne me semble plus froid ni plus déplacé qu’une loi avec préambule. Commande, dis ce que tu veux que je fasse : ma tâche n’est pas d’apprendre, mais d’obéir. » Je tiens, moi, que les lois influent sur les mœurs ; aussi