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ni le souper, ni la promenade, ni l’habit qui est un bien, mais le but qu’en tout cela je me propose, qui est de garder en tout la mesure qu’exige la raison. J’ajouterai ceci encore : le choix d’un vêtement propre est désirable pour l’homme ; car l’homme, de sa nature, est ami de la propreté, de l’élégance. Ainsi ce qui est bien par soi-même, ce n’est pas un vêtement propre, c’est le choix de ce vêtement : le bien n’étant pas dans la chose, mais dans le discernement qui fait que nos actions sont honnêtes, non la matière de nos actions. Ce que j’ai dit du vêtement, je le dis du corps, crois-le bien. Car la nature en a enveloppé l’âme comme d’un vêtement qui la voile aux yeux. Or estime-t-on jamais l’habit par le coffre où il est serré ? Le fourreau ne rend l’épée ni bonne ni mauvaise. À l’égard du corps je te réponds de même : je le prendrai, si je puis choisir, et sain et robuste ; mais le bien sera dans mon choix, non dans la force ou la santé.

« Sans doute, dira-t-on, le sage est heureux ; mais le bonheur complet lui échappe, s’il n’en possède aussi les instruments matériels. De cette sorte on ne peut être malheureux avec la vertu ; mais on n’est pas au faîte du bonheur, lorsque les biens physiques nous manquent, comme la santé et l’intégrité des organes. » Ce qui paraît le moins admissible, tu l’accordes, savoir, qu’un homme en proie à d’extrêmes et continuelles douleurs n’est pas à plaindre, qu’il est même heureux, et tu nies la conséquence, bien moindre, qu’il le soit parfaitement. Cependant, si la vertu peut faire qu’un homme ne soit pas malheureux, bien plus aisément complétera-t-elle son bonheur, car il reste moins d’intervalle entre l’heureux et le très-heureux, qu’entre le misérable et l’heureux. Quoi ! la puissance capable d’arracher l’homme aux calamités pour le mettre au rang des heureux, ne saurait achever son œuvre et l’élever au bonheur suprême ! Elle fléchit quand elle touche au sommet ! La vie a ses avantages et ses désavantages : les uns et les autres sont hors de nous. Si l’homme de bien n’est point misérable, eût-il à subir tous les désavantages, comment cesse-t-il d’être très-heureux si quelques avantages l’abandonnent ? Comme en effet le poids des uns ne le précipite pas jusque dans le malheur, de même la privation des autres ne l’arrache point à sa félicité ; elle reste alors aussi complète que son malheur est nul dans le premier cas : autrement on peut lui ravir son bonheur, si on peut le diminuer.

Je disais tout à l’heure que la lueur d’une bougie n’ajoute