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thématicien. Le philosophe saura d’où vient qu’un miroir réfléchit les objets ; le géomètre pourra te dire à quelle distance de l’image doit se trouver le corps, et que telle forme de miroir renverra telle image. Le philosophe prouvera que le soleil est grand ; le mathématicien, combien il est grand ; le mathématicien procède par une certaine routine ou pratique ; mais, pour procéder, il faut qu’il ait acquis quelques principes philosophiques. Or ce n’est pas un art indépendant que celui dont la base est d’emprunt. La philosophie ne demande rien à d’autres : elle tire du sol même tout son édifice. Les mathématiques sont pour ainsi dire une science de surface ; elles bâtissent sur le fonds d’autrui : elles reçoivent les premiers matériaux et par ce moyen leur œuvre aboutit ; si elles allaient au vrai par elles-mêmes, si elles pouvaient complètement embrasser la nature de la création, je dirais qu’elles peuvent être d’un immense secours à nos âmes, car l’étude du monde céleste communique à l’âme une grandeur qu’elle semble puiser d’en haut.

Il n’est pour l’âme qu’une sorte de perfection, la science des principes fixes du bien et du mal, science qui relève de la philosophie seule : nul autre art ne s’occupe des biens ni des maux. Voulons-nous examiner les vertus une à une ? Le courage, c’est le mépris de ce que les hommes craignent : ces épouvantails, qui font tomber sous le joug notre indépendance, il les dédaigne, les provoque, les brise ; est-ce donc aux arts libéraux qu’il doit tant de vigueur ? La bonne foi, c’est le trésor le plus inviolable de la conscience humaine ; aucune nécessité ne la forcerait au parjure, aucune largesse ne la corrompt. « Vos lames ardentes, s’écrie-t-elle, vos verges, vos échafauds ne me feront point trahir mon secret ; plus la douleur tentera de me l’arracher, plus je le cacherai profondément. » Les arts libéraux font-ils de ces âmes héroïques ? La tempérance maîtrise les voluptés : elle déteste et repousse les unes ; elle fait la part des autres, elle les rappelle à une sage mesure et ne les recherche jamais pour elles-mêmes. Elle sait que la meilleure règle du désir est de ne s’y livrer qu’autant qu’on le doit, non autant qu’on le veut. Cette autre vertu qui nous humanise nous défend l’orgueil envers tout membre de la société ; elle nous défend d’être cupides ; dans ses paroles, ses actes, ses sentiments, elle se montre affable et facile à tous ; leurs maux deviennent les siens, et si elle s’applaudit du bien qui lui arrive, c’est surtout parce qu’il doit lui servir à faire quelque heureux. Les arts libéraux prescrivent-ils une pareille morale ? Non :