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étudions[1]donc cette sagesse qui a fait d’Homère son adepte. Quant à rechercher lequel fut antérieur à l’autre, d’Homère ou d’Hésiode, c’est chose aussi indifférente que de savoir si Hécube était plus jeune qu’Hélène, et pourquoi elle portait si mal son âge. Est-il bien important, dis-moi, de rechercher l’âge de Patrocle et d’Achille[2]? Veux-tu savoir sur quelles mers a erré Ulysse plutôt que de nous empêcher, nous, d’errer incessamment ? Je n’ai pas le loisir d’apprendre si c’est entre l’Italie et la Sicile ou en dehors du monde connu qu’il fut le jouet des tempêtes, car dans un cercle si étroit pouvait-on errer si longtemps ? Mais nous, les tempêtes de l’âme nous secouent chaque jour ; nos mauvaises passions nous poussent dans toutes les mésaventures d’Ulysse. Assez de beautés attirent nos regards, assez d’ennemis aussi ; d’une part des monstres implacables qui s’enivrent du sang des hommes ; de l’autre d’insidieux enchantements préparés pour l’oreille ; plus loin des naufrages et tant de fléaux variés. Enseigne-moi comment je dois aimer ma patrie, mon épouse, mon père, et voguer, au prix du naufrage, vers de si nobles affections. Que demandes-tu si Pénélope a été peu chaste, si elle en a imposé à son siècle, si, avant de l’apprendre, elle n’a pas deviné qu’elle revoyait Ulysse ? Enseigne-moi ce que c’est que la chasteté et tout le prix de cette vertu, si c’est dans le corps ou dans l’âme qu’elle réside.

Je passe à la musique. Tu m’enseignes comment les voix du ton aigu s’accordent avec celles du ton grave ; comment des cordes qui rendent des sons différents produisent un accord parfait. Ah ! fais plutôt que mon âme s’accorde avec elle-même, et que dans mes résolutions il n’y ait point de dissonance. Tu me montres quels sont les modes plaintifs ; montre-moi plutôt à ne point exhaler de plainte au milieu de l’adversité.

La géométrie m’apprend à mesurer de vastes fonds de terre, qu’elle m’apprenne plutôt la juste mesure de ce qui suffit à l’homme. L’arithmétique m’apprend l’art de compter, de prêter mes doigts aux calculs de l’avarice ; qu’elle m’apprenne plutôt le néant de pareils calculs, qu’il n’en est pas plus heureux l’homme dont l’immense fortune lasse ses teneurs de livres, et que bien superflues sont des possessions dont le maître serait le plus à plaindre des hommes s’il devait par lui-même supputer tout son avoir. Que me sert de savoir régler le

  1. Il faut lire avec les Mss. discamus. Lemaire: dicamus.
  2. Voy. sur cette manie de recherches, Brièveté de la vie, xiii etxiv