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système à mettre au même rang que celui qui dirait : « Sois modérément fou, modérément malade. » La vertu seule garde ce tempérament, que n’admettent point les mauvaises affections de l’âme : on les expulse plus aisément qu’on ne les dirige. N’est-il pas vrai que ces vices, invétérés et endurcis, qu’on appelle maladies de l’âme, sont immodérés, comme l’avarice, la cruauté, la tyrannie, l’impiété ? Les passions le sont donc aussi : car des passions on passe aux vices. Et puis, pour peu que tu laisses d’empire à la tristesse, à la crainte, à la cupidité, à tout mouvement dépravé de l’âme, tu n’en seras plus maître. Pourquoi ? Parce que c’est hors de toi qu’ils trouvent leurs stimulants. Aussi se développeront-ils selon que ces causes d’excitation seront plus ou moins énergiques. La crainte sera plus grande si l’objet qui la frappe semble plus grave ou plus imminent ; et le désir d’autant plus vif que de plus riches avantages éveilleront nos espérances. Si la naissance des passions dans l’homme ne dépend pas de l’homme, il dépend aussi peu de lui de les avoir à tel degré. Si tu leur permets de commencer, elles s’accroîtront avec leurs causes et toujours en proportion de celles-ci[1]. Ajoutons que même les plus petites affections de l’âme ne peuvent que grandir : jamais le mal ne garde de mesure. Les maladies les plus légères au début n’en suivent pas moins leur marche, et parfois une aggravation toute minime perd le malade. Mais quelle folie n’est-ce pas de croire qu’une chose dont le commencement ne dépend point de nous, prenne fin quand il nous plaira ! Comment suis-je assez fort pour étouffer ce que je n’ai pu empêcher de se produire, bien qu’il soit plus aisé de fermer la porte à l’ennemi que de le maîtriser une fois reçu ?

On a distingué, on a dit : « L’homme tempérant et sage, tranquille par sa complexion morale et physique, ne l’est point par le fait des événements. Si en effet, dans l’habitude de son âme, il ne sent ni trouble, ni tristesse, ni crainte, une foule de causes surgissent du dehors qui s’en viennent le troubler. » Voici ce qu’on veut dire par là : Il n’est point colère et se fâche pourtant quelquefois ; sans être timide, il a quelquefois peur : en d’autres termes, la crainte n’est pas en lui comme vice, mais comme impression. Admettons l’hypothèse ; et la fréquence des impressions produira le vice ; et la colère, admise

  1. Au texte: cum causis crescent, tantique erunt quanti (ou quanto) fient; ce qui n'offre pas de sens. J'ai lu quantæ.