rise mieux le drame de la vie, qui assigne à chacun de nous un personnage si mal soutenu. Cet homme qui s’avance majestueusement sur la scène, et qui dit, renversant sa tête :
Héritier de Pélops, je suis maître d’Argos ;
L’isthme que l’Hellespont vient battre de ses flots,
Et qui commande au loin sur la mer d’Ionie,
Reconnaît mon empire…[1].
c’est un esclave qui reçoit par mois cinq boisseaux de froment et cinq deniers[2]. Ce héros superbe, impérieux, gonflé du sentiment de sa puissance, et qui dit :
est un gagiste à tant par jour, qui dort dans un galetas91. Autant peux-tu en dire de tous ces voluptueux en litière qui planent sur les têtes et dominent la foule : leur bonheur à tous est un masque. Arrache-le, ils feront pitié. Avant d’acheter un cheval, tu fais déboucler son harnais ; tu déshabilles l’esclave que tu marchandes, il peut cacher quelque vice physique ; et tout autre homme tu le prises avec son enveloppe ! Chez les vendeurs d’esclaves, tout ce qui pourrait choquer se déguise sous quelque artifice ; aussi, pour l’acheteur, tout ajustement est suspect ; qu’un lien quelconque à la jambe ou au bras frappe ta vue, tu fais tout découvrir, tu veux voir le corps bien à nu92. Vois ce roi de Scythie ou de Sarmatie, le front paré du diadème : si tu le veux apprécier et savoir au fond tout ce qu’il est, détache son bandeau : que de misères cachées là-dessous ! Mais que parlé-je des autres ? Si tu veux te peser toi-même, mets à l’écart ta fortune, ta maison, ton rang, et considère l’homme intérieur. Jusque-là tu t’estimes sur la foi d’autrui.