Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie, et c’est la moindre de mes dettes envers elle. Ce qui n’a pas peu contribué à ma guérison ce sont mes amis, dont les exhortations, les veilles, les entretiens me soulageaient. Oui, mon excellent Lucilius, rien ne ranime et ne réconforte un malade comme l’affection de ses amis, rien ne le dérobe mieux à l’attente et aux terreurs de la mort. Je ne m’imaginais pas mourir en les laissant après moi : il me semblait, en vérité, que j’allais vivre en eux, sinon avec eux ; je ne croyais pas rendre l’âme, mais la leur transmettre. Voilà où j’ai puisé la volonté de m’aider moi-même, et d’endurer toute espèce de souffrance ; autrement, c’est une grande misère, quand on a repoussé la résolution de mourir, de n’avoir pas le courage de vivre.

Fais appel à ces mêmes remèdes. Le médecin te prescrira la mesure des promenades et des exercices : « Ne cédez pas, dira-t-il, à cette propension au rien faire vers lequel incline une santé languissante ; lisez à haute voix, exercez cette respiration dont les voies et le réservoir sont embarrassés ; montez sur un navire dont le doux balancement secouera vos viscères ; prenez telle nourriture ; ayez recours au vin, comme fortifiant ; suspendez-en l’usage, s’il peut irriter et aigrir votre toux. » Ce que je te prescris, moi, c’est le spécifique non-seulement de ton mal actuel, mais de la vie entière, le mépris de la mort. Rien n’est pénible pour qui a cessé de la craindre.

Trois choses dans toute maladie sont amères : crainte de la mort, douleur physique, interruption des plaisirs. J’en ai dit assez sur la mort ; n’ajoutons qu’un mot : ici ce n’est pas la maladie, c’est la nature qui craint. Que de gens dont la maladie a reculé la mort et dont le salut a tenu à ce qu’on les croyait mourants[1]! Tu mourras, non parce que tu es malade, mais parce que tu vis. Cette crise t’attend, même en santé : que tu guérisses, tu n’y échapperas point ; tu ne te sauveras que de la maladie.

Quant à l’inconvénient d’être malade, sans doute de grandes souffrances accompagnent cet état ; mais, grâce aux intermittences, elles sont supportables : l’extrême intensité de la douleur en amène le terme. Nul ne peut souffrir avec violence et longtemps : la nature, en mère tendre, nous a conformés de telle sorte que la douleur ou nous fût supportable ou passât vite. Les plus violentes ont pour siège les parties les moins

  1. Ceci paraît être un souvenir personnel de l'auteur. Voir sa vie.