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LETTRES DE SÉNÈQUE

conscience et avec zèle. » Quoi! ne sais-tu pas que mourir est aussi un des devoirs de la vie ? Tes devoirs ! auquel renonces-tu? Le chiffre ici n'est pas certain, le cercle à remplir bien précis. Point de vie qui ne soit courte? Comparée à la durée de l'univers, celles de Nestor et de Statilia ont fini trop tôt, de Statilia qui fit graver sur son tombeau qu'elle avait vécu quatre-vingt-dix-neuf ans. Admire la sotte vanité de cette vieille, et à quel degré plus choquant ne l'eût-elle pas poussée, s'il lui eût été donné de parfaire la centaine?

Il en est de la vie comme d'un drame, où ce n'est pas la durée, mais la bonne conduite qui importe. Il est indifférent que tu finisses à tel ou tel point. Finis, où tu voudras : seulement que le dénoûment soit bon 80.


LETTRE LXXVIII.

Le mépris de la mort, remède à tous les maux. L’opinion, mesure des biens et des maux.

Les catarrhes fréquents qui te tourmentent et tes petits accès de fièvre qu’amène le prolongement de ces affections devenues chroniques me chagrinent d’autant plus que j’ai éprouvé ce genre de mal. Dans le principe je n’en ai pas tenu compte : jeune encore, je pouvais supporter de pareilles atteintes et bravement tenir tête aux maladies. J’ai fini par être le moins fort, et j’ai vu se fondre jusqu’à mon corps réduit à une extrême maigreur. J’ai pris mainte fois le brusque parti de rompre avec la vie ; je fus retenu par la vieillesse du plus tendre des pères. Je calculai non pas combien j’avais de courage pour mourir, mais le peu qu’il en aurait pour supporter ma perte. Et je m’imposai la loi de vivre, ce qui souvent aussi est un acte de courage. Quelles furent alors mes consolations ? Tu vas le savoir ; mais apprends d’abord que ces principes mêmes de résignation furent pour moi comme un remède souverain. Il est de hautes consolations qui arrivent à nous guérir ; et tout ce qui relève le moral est salutaire même au physique. Nos études m’ont sauvé ; je reporte à la philosophie l’honneur de mon rétablissement, du retour de mes forces : je lui dois la