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meil, laissa glisser sa tête vacillante jusque entre les rayons de la roue, et attendit, ferme sur son siège, qu’en tournant elle lui rompît le cou ; le chariot même qui le menait au supplice servit à l’y soustraire.

Il n’est plus d’obstacles pour qui veut les rompre et sortir de la vie. Le lieu où la nature nous garde est ouvert de toutes parts. Tant que le permet la nécessité, voyons à trouver une issue plus douce ; avons-nous sous la main plus d’un moyen d’affranchissement, faisons notre choix, examinons lequel réussira le mieux : l’occasion est-elle difficile, la première venue sera la meilleure, saisissons-la, fût-elle inouïe et sans exemple. Les expédients ne sauraient manquer pour mourir là où le courage ne manque pas. Vois les derniers des esclaves : quand l’aiguillon du désespoir les presse, comme leur génie s’éveille et met en défaut toute la vigilance de leurs gardiens ! Celui-là est grand qui s’impose pour loi le trépas et qui sait le trouver.

Je t’ai promis plusieurs exemples de gladiateurs. Voici le dernier. Lors de la seconde naumachie, un Barbare se plongea dans la gorge la lance qu’il avait reçue pour combattre. « Pourquoi, se dit-il, ne pas me soustraire à l’instant même à tous ces supplices, à toutes ces risées ? J’ai une arme, attendrai-je la mort ? » Ce fut là une scène d’autant plus belle à voir qu’il est plus noble à l’homme d’apprendre à mourir qu’à tuer. Eh quoi ! L’énergie qu’ont des âmes dégradées et des malfaiteurs, ne l’aurons-nous pas, nous qui pour braver les mêmes crises sommes armés par de longues études et par le grand maître de toutes choses, la raison ? Nous savons par elle que le terme fatal a diverses avenues, mais est le même pour tous, et qu’il n’importe par où commence ce qui aboutit à même fin. Par elle nous savons mourir, si le sort le permet, sans douleur, sinon, par tout moyen possible, et nous saisir du premier objet propre à trancher nos jours. Il est inique de vivre de vol[1] ; mais voler sa mort est sublime.



  1. Comme les malfaiteurs dont il vient de parler.